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La conceptualisation en histoire au lycée : une approche par la mobilisation et le contrôle de la pensée sociale des élèves

01 Jan 2004-Revue Francaise De Psychanalyse (Centre pour la communication scientifique directe)-Vol. 147, Iss: 1, pp 57-67
TL;DR: In this paper, the authors reprend quelques resultats d'un travail de these sur les raisonnements par analogie dans les ecrits des eleves d'une classe de Seconde en histoire.
Abstract: Cet article reprend quelques resultats d’un travail de these sur les raisonnements par analogie dans les ecrits des eleves d’une classe de Seconde en histoire. Les theories de l’apprentissage de Vygotski et des representations sociales de Moscovici eclairent les transformations du savoir operees par les eleves quand ils rapprochent, par ces analogies, le savoir historique et leur pensee sociale, les concepts scientifiques et les concepts quotidiens. Il s’avere que les eleves generalisent et s’approprient ainsi le concept historique non par l’abstraction mais par l’indexation du concept a des situations et a des personnages concrets, selon un modele de generalisation par individualisation.

Summary (2 min read)

Introduction

  • Oct 2011 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of scientific research documents, whether they are published or not.
  • The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers.
  • Laboratoire Savoirs et socialisation, Université de Picardie Jules-Verne.

LA CONCEPTUALISATION EN HISTOIRE AU LYCEE :

  • Cet article reprend quelques résultats de mon travail de thèse sur les raisonnements par analogie dans les écrits des élèves d’une classe de Seconde en histoire.
  • Le questionnement sur l’apprentissage des concepts historiques renvoie plus largement à la fonction du langage écrit dans la construction du savoir en histoire.
  • Toutefois, en didactique de l’histoire, la question des concepts est rendue complexe par le statut du général et du particulier dans cette discipline.
  • Il dégage par généralisations successives les propriétés communes à plusieurs objets singuliers que l’on ne saurait penser indépendamment les uns des autres.
  • Pour reprendre les termes de Passeron, le concept situations historiques, telles les règnes de Louis XIII, Louis XIV, Louis XV et Louis XVI pour caractériser la Monarchie absolue.

Un modèle didactique de l’appropriation du savoir en histoire

  • Sans considérer les élèves comme des petits historiens, on peut rappeler que l’histoire des historiens et l’histoire enseignée en classe ont en commun d’être construites à partir de la pensée et de la mémoire sociales de chacun (Moniot 2001).
  • Les concepts scientifiques germent vers le bas par l’intermédiaire des concepts quotidiens.
  • Parmi les procédures d’historisation définies plus haut, je m’attache à celle du contrôle du raisonnement par analogie qui me semble efficace pour aider les élèves dans la conceptualisation en histoire.
  • C’est pourquoi j’ai distingué un second couple de raisonnements par analogie recouvrant le couple des analogies sauvages et savantes.
  • Ainsi peut-on écrire que Dieu était à l’empereur romain du IVe siècle ce qu’il était également au monarque absolu de droit divin du XVIIe siècle : il légitimait dans les deux cas un pouvoir d’essence religieuse.

Méthodologie de recherche

  • Les données ont été produites durant l’année scolaire 2001-2002 par les élèves d’une classe de Seconde d’un lycée général et technologique classé en « Zone de prévention violence » et situé dans une proche banlieue défavorisée de Paris.
  • Chacune des séquences s’est déroulée sur douze séances, évaluation comprise, soit un étalement sur trois semaines et un total de 60 heures pour l’ensemble de l’expérimentation.
  • Parallèlement, deux classes témoins ont été constituées.
  • Les séquences de ces deux classes étaient organisées avec des documents, des consignes et des évaluations identiques, à l’exclusion du travail spécifique sur le raisonnement par analogie.

Des résultats quantitatifs

  • Des calculs statistiques ont été réalisés avec le test de Fischer à partir des 278 raisonnements par analogie de la classe expérimentale pour déterminer et caractériser des groupes d’élèves produisant en moyenne plutôt un certain type d’analogie.
  • Il n’est pas question pour autant d’invalider ce raisonnement dans la mesure où il enclenche chez l’élève un processus de conceptualisation fort intéressant illustrant le modèle d’apprentissage brossé plus haut à grands traits.
  • Ce sont les hommes que l’histoire veut saisir.

La conceptualisation par l’ancrage dans une situation historique concrète

  • Les écrits de deux autres élèves appartenant cette fois au groupe des élèves en difficulté – dont les résultats scolaires sont inférieurs à la moyenne de la classe - montrent avec force la fonction cognitive de l’ancrage des concepts historiques dans le concret d’une situation du passé.
  • Organisée autour des raisons pour lesquelles les empereurs romains avaient officialisé la religion chrétienne au IVe siècle, après l’avoir persécutée au IIIe siècle.
  • Voilà pourquoi les Romains ont fait du christianisme la religion officielle de l’Empire Romain ».
  • En outre, Rania a restitué ici la dimension contractuelle de la religion antique qui consistait, pour une cité, à changer de dieu tutélaire si les services rendus par ce dernier n’avaient qu’un faible rapport avec la valeur des sacrifices qui lui étaient accordés.
  • La seconde coupure tient aux entités collectives dotées d’intentions et sujets de verbes d’action, tout comme les personnages singuliers des récits de fiction.

Conclusion : la généralisation par l’individualisation

  • Ces différents exemples signalent finalement un processus parfois inabouti, mais unique et commun à l’ensemble des élèves de l’échantillon étudié.
  • La généralisation progressive du concept quotidien marquée par l’apparition de termes plus scientifiques est concomitante des processus de figuration et de personnification qui ancrent le concept scientifique dans le concret des situations du passé et de personnages historiques singuliers ou collectifs tels que Constantin, Urbain II, les Romains, les dieux, les chrétiens, les musulmans, les Français, les Anglais, les Américains.
  • Ce paradoxe de la généralisation par l’individualisation renvoie à la nature des concepts des sciences sociales, généralités incomplètes, indexées à des contextes et à des personnages singuliers.
  • Ils parviennent à une formalisation recevable des concepts historiques et mobilisent davantage d’analogies explicatives savantes car ces dernières supposent le déploiement de la compréhension narrative des hommes du passé par la figuration et la personnification, condition nécessaire à la mobilisation des procédés d’historisation pour conceptualiser.
  • Sous réserve de vérifications ultérieures, ce travail présente vraisemblablement une clé pour une meilleure réussite des élèves en histoire puisque c’est principalement la maîtrise de ces procédés qui leur fait défaut.

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Submitted on 3 Oct 2011
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La conceptualisation en histoire au lycée
Didier Cariou
To cite this version:
Didier Cariou. La conceptualisation en histoire au lycée : une approche par la mobilisation et le
contrôle de la pensée sociale des élèves. Revue Française de Pédagogie, INRP/ENS éditions, 2004,
pp.57-67. �hal-00620709�

1
Article paru dans le n°147de la Revue française de pédagogie,
Avril-mai-juin 2004, p. 57-67
Didier CARIOU
Laboratoire Savoirs et socialisation, Université de Picardie Jules-Verne (Amiens)
LA CONCEPTUALISATION EN HISTOIRE AU LYCEE :
une approche par la mobilisation et le contrôle
de la pensée sociale des élèves
RESUME : Cet article reprend quelques résultats de mon travail de thèse sur les raisonnements
par analogie dans les écrits des élèves d’une classe de Seconde en histoire. Les théories de
l’apprentissage de Vygotski et des représentations sociales de Moscovici éclairent les
transformations du savoir opérées par les élèves quand ils rapprochent, par ces analogies, le
savoir historique et leur pensée sociale, les concepts scientifiques et les concepts quotidiens. Il
s’avère que les élèves généralisent et s’approprient ainsi le concept historique non par
l’abstraction mais par l’indexation du concept à des situations et à des personnages concrets,
selon un modèle de généralisation par individualisation.
MOTS-CLE : Didactique de l’histoire, Raisonnement naturel, Représentations sociales,
Conceptualisation, Apprentissage.
Toute didactique s’intéresse à la nature des concepts de la discipline enseignée en classe
et à leur mode d’appropriation par les élèves. Une étude de l’ensemble des écrits produits en
classe d’histoire par des éves de Seconde, aussi bien lors des ances en classe que des
évaluations, signale l’une des voies possibles de la conceptualisation en histoire
i
. Le modèle de
« la double germination des concepts scientifiques et des concepts quotidiens » de Vygotski
offre à cet égard un modèle d’analyse particulièrement efficace de ce qui se passe quand les
élèves écrivent longuement pour s’approprier le savoir. On sait en effet que l’apprentissage ne
peut se réduire à la transmission directe aux élèves des concepts de la discipline mais que
l’appropriation d’un concept implique sa compréhension progressive « à partir d’une
représentation confuse, son emploi par l’enfant lui-même et, en bout de chaîne seulement, son
assimilation effective » (Vygotski 1934, p. 280). C’est ce cheminement complexe qui mène de la
première rencontre avec un concept historique jusqu’à son assimilation par les élèves que je me
propose d’étudier ici.
Le questionnement sur l’apprentissage des concepts historiques renvoie plus largement à
la fonction du langage écrit dans la construction du savoir en histoire. A cet effet, je me réfère
aux modèles d’analyse des écrits d’élèves élaborés notamment par l’équipe ESCOL (Bautier &
Rochex 1998) et par la didactique du français (Bucheton & Chabanne 2002) afin de les adapter à
la didactique de l’histoire. Il s’agit de mettre en lumière les activités cognitives présidant à la
rédaction des écrits d’élèves en classe d’histoire, et connues par l’épistémologie et la didactique
de l’histoire (Moniot 1993, Lautier 1997), pour dévoiler leur logique d’apprentissage.
Toutefois, en didactique de l’histoire, la question des concepts est rendue complexe par
le statut du général et du particulier dans cette discipline. Je me propose de montrer dans cet

2
article que la conceptualisation en histoire ne conduit pas vers une généralité de plus en plus
abstraite mais procède paradoxalement d’une individualisation et d’un ancrage croissants dans le
concret de la situation historique étudiée. Il convient donc d’éclairer ce paradoxe inhérent à
l’histoire et de préciser au préalable ce que l’on appelle un concept en histoire par une référence
nécessaire à l’épistémologie de l’histoire, avant d’analyser quelques écrits significatifs d’élèves.
Raisonnement historique et raisonnement naturel
Il peut sembler contradictoire d’évoquer les concepts en histoire, discipline éloignée de
toute forme de généralité invariante car, science du changement, elle étudie des faits singuliers
qui ne se répètent jamais. Mais on ne saurait éviter de catégoriser un fait historique pour savoir
de quoi l’on parle, ni de le rattacher à une problématique pour penser le passé.
Cette contradiction se trouve en partie résolue si l’on considère que, tout comme la
sociologie, l’histoire relève du raisonnement naturel et que les démarches historiennes de la
compréhension, de l’explication et de la conceptualisation sont spécifiques (Passeron 1991).
Ainsi, le mode de compréhension des hommes du passé est analogue à celui que nous
appliquons dans le présent aux actes de la vie en société, quand nous cherchons à savoir ce
qu’autrui a « derrière la tête » pour comprendre ses dires et ses actes : « L’historien raisonne par
analogie avec le présent et transfère au passé des modes d’explication qui ont fait leurs preuves
dans l’expérience quotidienne de tout un chacun » (Prost 1996, p. 159). En d’autres termes,
l’historien rapproche le fait historique à connaître d’un élément de sa pensée sociale, construite
par son expérience personnelle et sociale, à l’occasion d’un raisonnement pratique du type :
« Cela me rappelle… ». Il applique à la compréhension des hommes du passé sa propre théorie
de l’esprit (Bruner 1996, p. 218-219) construite par l’observation des hommes et de la société
qui l’entourent et qui lui permet d’expliquer pourquoi, selon lui, dans telle situation du présent
ou du passé, les hommes agissent généralement de telle manière. Ainsi Marc Bloch (1949) a
montré à quel point son expérience des tranchées de la Première Guerre mondiale lui avait
permis de comprendre les hommes du Moyen Age marqués eux aussi par la guerre.
Mais, ce qui différencie le raisonnement historique du raisonnement naturel, c’est sa
mise à distance et son contrôle par des opérations d’historisation qui renvoient à la méthode
scientifique de l’historien. Il s’agit de la critique des sources, du contrôle du raisonnement
analogique, de la périodisation et de la construction d’entités historiques (Lautier 2001). C’est
pourquoi le raisonnement historique est un mixte de pensée sociale - par les rapprochements
opérés pour comprendre une situation du passé à la lumière d’une situation analogue du passé ou
du présent - et de pensée scientifique - au sens où l’histoire est une science par sa méthode et par
son mode de production de savoirs validés par la communauté des historiens.
On comprend alors mieux la spécificité des concepts en histoire car, à la différence des
sciences de la nature hypothético-déductives qui expliquent le monde par des lois générales,
l’histoire ne construit pas des généralités universelles et invariantes. L’historien mobilise plutôt
la compétence du raisonnement naturel consistant à comparer sans cesse et à établir des
typologies empiriques sur la base de raisonnements analogiques. Il dégage par généralisations
successives les propriétés communes à plusieurs objets singuliers que l’on ne saurait penser
indépendamment les uns des autres. Ces propriétés définissent un concept pour catégoriser et
penser ces faits singuliers (Prost 1996, p. 129-130). Ainsi, les historiens ont-ils longtemps pensé
la Révolution française en référence à la Révolution russe, et inversement. Cependant, les
historiens ne cherchent pas tant à construire le concept de « révolution » qu’à penser l’une ou
l’autre de ces deux révolutions dans sa spécificité.
En conséquence, le concept historique est une généralité incomplète, empirique et
fortement contextualisée car il s’applique uniquement aux faits comparés et à la typologie qui a
conduit à son élaboration (Passeron 2002). Pour reprendre les termes de Passeron, le concept

3
historique reste une « description résumée », une énumération de traits communs à diverses
situations historiques, telles les règnes de Louis XIII, Louis XIV, Louis XV et Louis XVI pour
caractériser la Monarchie absolue. Il est un « semi-nom propre » indexé aux singularités et aux
personnages les plus typiques dans lesquels il s’incarne, tels Louis XIV et Louis XV. Il est enfin
« élastique » et sans valeur universelle car, à la différence des concepts des sciences de la nature,
un exemple contraire n’invalide pas le concept historique, il en réduit simplement le domaine de
validité. Ainsi, chaque historien considère que le concept de Monarchie absolue caractérise une
période historique plus ou moins vaste : l’un peut s’en tenir au seul règne de Louis XIV et
l’autre peut étendre plus largement la période concernée en décidant par exemple que la
monarchie du XVIIIe siècle, influencée par la pensée politique des philosophes des Lumières,
appartient toujours à ce type de régime politique.
Un modèle didactique de l’appropriation du savoir en histoire
La nature du raisonnement historique, entre le raisonnement naturel de la pensée sociale
et le raisonnement plus scientifique de la pensée historienne contrôlée, permet de penser par
dérivation la continuité entre le raisonnement des élèves en histoire et le raisonnement des
historiens (Lautier 2001, 2003). Sans considérer les élèves comme des petits historiens, on peut
rappeler que l’histoire des historiens et l’histoire enseignée en classe ont en commun d’être
construites à partir de la pensée et de la mémoire sociales de chacun (Moniot 2001). Elles
doivent en même temps les bousculer, les critiquer, les recycler et les contrôler pour produire du
savoir scientifique.
Ainsi, le « modèle intermédiaire de la compréhension de l’histoire » défini par Nicole
Lautier (1997, p. 213-222) montre que, à l’instar des historiens mais à leur niveau, les élèves
procèdent d’abord par rapprochements et typologies pour comprendre les concepts de la
discipline en leur donnant un sens concret. Ils mobilisent à cet effet leurs « représentations
sociales », ce mode de connaissance du sens commun socialement élaboré et partagé relevant de
leur pensée sociale et résultant de l’intériorisation par chaque individu d’expériences, de
pratiques, de modèles de conduite et de pensée (Moscovici 1976). Les représentations sociales
régissent notre relation aux autres et au monde, elles opèrent la médiation entre l’individuel et le
collectif et participent de la construction sociale de la réalité. Elles fournissent aux membres
d’un groupe social un cadre théorique du sens commun sur le monde, un système de
catégorisation leur permettant de se représenter un objet pas encore connu pour l’intégrer dans
leur univers habituel de pensée. En tant que processus cognitifs, elles contribuent à la
transformation du savoir scientifique des spécialistes en un savoir de sens commun accessible
aux profanes, aux « savants amateurs » - et donc pour nous, aux élèves historiens amateurs - à
des fins d’appropriation du savoir scientifique (Moscovici & Hewstone 1984). Le savoir
scientifique est transforet assimilé par le rapprochement entre ce savoir et des éléments de
leur pensée sociale permettant le passage d’une modalité de connaissance à une autre : du
complexe au simplifié, de l’abstrait au concret, du mot à la chose, du concept à l’affect, du
langage scientifique au langage naturel, etc. Cette transformation emplit le savoir de sens
concret.
La théorie des représentations sociales est utile pour décrire les processus cognitifs à
l’œuvre dans les écrits des élèves et qui se manifestent par des indices textuels aisément
identifiables. Ces derniers renvoient aux « processus d’objectivation » des représentations
sociales qui - selon une définition inverse de l’acception commune de ce terme permettent de
se représenter les concepts en rendant concret l’abstrait (Moscovici 1976, p. 107-126).
L’objectivation est notamment caractérisée par la « personnification » qui associe un concept à
un individu symbolique pour lui donner corps et existence concrète (Louis XIV pour la
monarchie absolue) et par la « figuration » qui substitue une image ou une métaphore à un

4
concept (le Roi soleil pour le monarque absolu). La théorie des représentations sociales nous
apprend que ces deux opérations signalent une transformation du savoir scientifique en un savoir
profane et donc l’attribution par l’élève historien amateur d’un sens concret et quotidien au
concept historique à connaître.
En même temps, ce savoir scientifique ainsi approprié et socialisé comme partie
intégrante du savoir de sens commun de nos historiens amateurs, imprègne ce dernier de
rationalité. Il contribue à opérer le contrôle de la pensée sociale et du raisonnement naturel pour
conduire les élèves vers un raisonnement historien plus recevable. Il transforme progressivement
la formulation naïve et approximative des concepts en une formulation valide, par les opérations
de distanciation et d’historisation déjà évoquées. De même que le raisonnement de l’historien est
un mixte de pensée sociale et de pensée scientifique, de même l’apprentissage de l’histoire par
les élèves suppose la mobilisation du raisonnement naturel puis sa mise à distance par cette
seconde transformation pour tendre vers un raisonnement contrôlé (Lautier 2001).
Bien plus, ce qui a été indiqué sur la fonction des représentations sociales comme mode
d’appropriation du savoir scientifique est cohérent avec la théorie de Vygotski sur la dialectique
des « concepts scientifiques » (auxquels j’assimile ici les concepts historiques construits par les
historiens) et des « concepts quotidiens » (Vygotski 1934, p. 291-297 et p. 368-404). Certes, les
didacticiens des sciences sont ticents à mobiliser en l’état cette théorie (Joshua 1998) qui
semble en revanche particulièrement pertinente en didactique de l’histoire. Rappelons que
Vygotski distingue le concept quotidien de l’expérience personnelle, concrète et pratique de
l’enfant et le concept scientifique, formé dans son expérience scolaire, qui ne renvoie pas à un
objet concret mais à une formulation scientifique. Le concept quotidien se caractérise par « une
incapacité à l’abstraction, une inaptitude au maniement volontaire », tandis que le concept
scientifique peu concret est mobilisé consciemment et volontairement (Vygotski 1934, p. 275).
Ces deux types de concepts se réfèrent à deux modes de pensée distincts mais en étroite
interaction, la pensée sociale d’une part et la pensée scientifique d’autre part. Ils se développent
selon deux voies inverses qui ne supposent pas l’éviction de l’un par l’autre mais leur
transformation réciproque à des fins d’apprentissage : « Le concept spontané de l’enfant se
développe de bas en haut, des propriétés plus élémentaires et inférieures aux propriétés
supérieures, alors que les concepts scientifiques se développent de haut en bas, des propriétés
plus complexes et supérieures aux propriétés plus élémentaires et inférieures (…). Les concepts
scientifiques germent vers le bas par l’intermédiaire des concepts quotidiens. Ceux-ci germent
vers le haut par l’intermédiaire des concepts scientifiques » (Vygotski 1934, p. 371-372). Ce
passage célèbre n’est pas sans faire écho aux propos de Moscovici sur la socialisation du savoir
scientifique par les savants amateurs concomitante de la rationalisation du sens commun par
l’apprentissage du savoir scientifique.
Toutefois, pour appréhender la place de la pensée sociale et l’importance de son contrôle
dans les processus d’apprentissage des élèves, on ne saurait mobiliser ensemble la théorie de
Vygotski et celle de Moscovici sans oublier qu’elles relèvent d’épistémologies fort éloignées. La
démarche éclectique présentée ici ne vise pas la synthèse de ces théories pour les faire entrer de
force dans un cadre interprétatif unique, mais les considère comme des éclairages pointés sur
notre objet selon des angles différents pour atteindre une connaissance plus complète de la
conceptualisation par les élèves en histoire.
Raisonnement par analogie et construction du savoir en histoire
L’objet de cet article est d’ébaucher un modèle de la conceptualisation et de la
construction du savoir en histoire par les élèves ainsi formulé en des termes analytiques : les
élèves conceptualisent et s’approprient le savoir historique en transformant le savoir
scientifique des historiens en un savoir passé au filtre de leur pensée sociale représentative qui

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Journal ArticleDOI
TL;DR: In this paper, a note de synthese souligne the specificite de la discipline enseignee. Butteau et al. define it as "a discipline which peine a mettre en coherence des finalites intellectuelles ambitieuses (outiller le citoyen actif dans la cite de demain).
Abstract: Cette note de synthese souligne la specificite de la discipline enseignee. L’histoire scolaire occupe une position originale dans le champ des didactiques par la complexite de ses references (production savante, auto-reference scolaire et usages publics de l’histoire). Tendus entre une transmission de connaissances consensuelles et la recherche d’une posture critique, les objets d’histoire enseignes demeurent soumis a des questionnements renouveles au gre de la demande sociale comme le montrent les recents debats autour des questions memorielles vives et concurrentes. L’histoire enseignee apparait ainsi comme un mixte articulant representations sociales, savoirs prives et connaissances validees. Depuis une quinzaine d’annees, des travaux ont permis de mieux cerner le « penser en histoire » et les processus cognitifs specifiques en jeu dans la classe (temps historique, conceptualisation, problematisation, construction de schemes explicatifs). Des recherches contextualisees ont permis d’explorer les pratiques professionnelles effectives et d’en modeliser le fonctionnement « normal » : une discipline qui privilegie la transmission de savoirs disant la realite du passe et attachee a la neutralite du texte enseigne ; une discipline qui peine a mettre en coherence des finalites intellectuelles ambitieuses (outiller le citoyen actif dans la cite de demain) et des activites dans la classe souvent cantonnees a la memorisation, au reperage et a la categorisation. Aussi voit-on se dessiner dans les travaux actuels, une problematique centree sur les ecarts entre les intentions et les pratiques. En articulant la notion de soumission aux regles du « contrat didactique » avec les autres modeles theoriques des sciences humaines et sociales mobilises au sein des equipes de recherche, les travaux menes de maniere encore trop dispersee, laissent apparaitre des acquis importants qui pourraient etre pris en compte dans la formation des enseignants.

58 citations

Dissertation
02 Aug 2013
TL;DR: In this article, the authors present a survey of the conditions for ensembles didactiques in the context of cognitive science. But the focus is on the structural and cognitive aspects of the ensembled didactique.
Abstract: .............................................................................................................................................. ii Table des matières .............................................................................................................................. iii Liste des tableaux .............................................................................................................................. vii Liste des figures ................................................................................................................................ viii Remerciements .................................................................................................................................... x INTRODUCTION .................................................................................................................................... 1 1. PROBLÉMATIQUE ........................................................................................................................ 2 1.1. CONTEXTE PRATIQUE ............................................................................................................................ 2 1.1.1. De nouvelles conditions d’enseignement ................................................................................ 2 1.1.2. La place et l’utilisation des ensembles didactiques ................................................................ 5 1.1.3. L’exercice de la méthode historique ....................................................................................... 7 1.2. PROBLÈME GÉNÉRAL ............................................................................................................................ 8 1.3. PROBLÈME SPÉCIFIQUE ......................................................................................................................... 9 1.4. OBJECTIFS DE RECHERCHE .................................................................................................................... 10 1.5. RETOMBÉES ATTENDUES DE LA RECHERCHE ............................................................................................. 11 2. CADRE CONCEPTUEL ................................................................................................................. 13 2.1. L’EXERCICE DE LA MÉTHODE HISTORIQUE ................................................................................................ 13 2.1.1. La pensée historique ............................................................................................................. 14 2.1.2. La perspective historique ...................................................................................................... 16 2.1.3. La méthode historique .......................................................................................................... 19 2.2. L’INTERVENTION ÉDUCATIVE ................................................................................................................ 22 2.2.1. De la structuration à la conceptualisation ............................................................................ 22 La structuration du savoir. .......................................................................................................................... 22 La conceptualisation en histoire. ................................................................................................................ 25 2.2.2. Les modèles d’intervention éducative ................................................................................... 28 MIE1 – l’hétérostructuration cognitive traditionnelle. ............................................................................... 29 MIE2 – l’autostructuration cognitive. ......................................................................................................... 31 MIE3 – l’hétérostructuration cognitive coactive. ........................................................................................ 31 MIE4 – l’interstructuration cognitive. ......................................................................................................... 33

42 citations


Cites background from "La conceptualisation en histoire au..."

  • ...…conceptualiser et problématiser sont indissociables : problématiser, c’est franchir un obstacle en utilisant une méthode historique afin de conceptualiser, c’est-à-dire structurer une nouvelle représentation du savoir (Bugnard, 2011; Cariou, 2004, 2006; Dalongeville & Huber, 2000; Huber, 2003)....

    [...]

  • ...Conceptualiser, c’est alors identifier des attributs uniques d’un concept de manière inductive selon l’analyse de différentes situations et pouvoir reconnaître et transférer ce concept dans d’autres contextes d’étude (Barth, 1993; Cariou, 2004; Jadoulle, 2004)....

    [...]

  • ...En effet, au-delà des faits, des évènements, des dates, l’élaboration et la manipulation des concepts sont primordiales pour l’exercice de la méthode historique (Bugnard, 2011; Cariou, 2004; Dalongeville, 2006; Lee & Shemilt, 2003; Lévesque, 2008; Martineau, 1999)....

    [...]

Dissertation
01 Oct 2012
TL;DR: In this paper, a corpus of donnees construit a partir de l'observation non participante des lecons d'histoire dans une classe de CM1 durant une annee scolaire, is used to enrich the question des apprentissages des eleves a l'ecole elementaire.
Abstract: Dans le champ de la didactique de l'histoire, cette these vise a enrichir la question des apprentissages des eleves a l'ecole elementaire. En s'appuyant sur un corpus de donnees construit a partir de l'observation non participante des lecons d'histoire dans une classe de CM1 durant une annee scolaire, ce travail de recherche permet de mieux comprendre l'activite mobilisee par les eleves en situation. Les constats proposes sont issus de l'analyse didactique des productions langagieres, essentiellement orales, des acteurs que sont les eleves et le professeur. Cette analyse est menee a partir d'une methodologie qui mobilise des notions theoriques issues de la didactique de l'histoire, de l'epistemologie de l'histoire scientifique, de la didactique du francais langue maternelle, de la psychologie sociale. Le lien langage-apprentissage y est examine en fonction des contraintes induites par la discipline histoire. L'interpretation des donnees permet de mettre en evidence la configuration des savoirs elabores dans la classe et les modalites d'elaboration de ces savoirs tant au niveau collectif qu'aux niveaux individuels, en soulignant les particularites de l'activite cognitive mobilisee par les sujets apprenants. S'ils attestent de l'empreinte de la discipline dans les processus observes, les constats de cette recherche specifient egalement la discipline scolaire histoire en la situant a l'ecole elementaire

19 citations

Journal ArticleDOI
TL;DR: In this article, Koselleck et al. discuss a type of problematisation, i.e., the problem of "passees ainsi et pas autrement", where a person is contenter de savoir que a tel evenement a eu lieu has occurred, mais rendre raison des necessites and contingences in which it decoules.
Abstract: Savoir en histoire peut s’entendre comme une reponse a la question : « Pourquoi les choses se sont justement passees ainsi et pas autrement ? » (Koselleck, 1997), c’est-a-dire ne pas se contenter de savoir que tel evenement a eu lieu, mais rendre raison des necessites et contingences dont il decoule. Problematiser ainsi la connaissance d’un evenement du passe, c’est depasser la linearite de l’explication chronologique, ou ce qui precede explique ce qui suit, et c’est explorer les possibles auxquels les hommes ont ete confrontes. Dans cet article, le cas de trois collegiens montre comment des pratiques de savoir propres a la classe peuvent se deployer et donner acces a ce type de problematisation : a travers l’appropriation des textes d’un manuel scolaire, les eleves produisent des donnees, les mettent en relation et les recontextualisent en fonction du probleme historique qui s’ebauche dans un meme mouvement. Nous en tirons les conditions qui rendent une histoire problematisee a l’ecole possible.

17 citations


Cites background from "La conceptualisation en histoire au..."

  • ...Cette manière qu’a le sens commun d’imputer des événements (par exemple, on fuit quand on a quelque chose à se reprocher) permet ici le rapprochement des représentations sociales des élèves (Cariou, 2004) et des explications apportées par le manuel....

    [...]

Journal ArticleDOI
01 Oct 2009
TL;DR: In this article, the authors propose orientations for the production of savoirs en histoire, fondees sur le croisement du cadre theorique de la problematisation avec la theorie socio-historique du langage.
Abstract: L’article rend compte de travaux menes depuis quelques annees par l’equipe de didactique de l’histoire du CREN (Universite de Nantes). Il propose de nouvelles orientations pour la production de savoirs en histoire, fondees sur le croisement du cadre theorique de la problematisation avec la theorie socio-historique du langage. Une reflexion est entamee sur l’adaptation de ces cadres theoriques avec l’epistemologie et la didactique de l’histoire et une etude de cas est menee dans une classe de l’ecole elementaire francaise (CM1, eleves de 9 ans). Il en resulte quelques propositions de travail pour la construction d’un « espace des contraintes » et l’analyse des « pratiques langagieres » en histoire.

10 citations


Cites background from "La conceptualisation en histoire au..."

  • ...Comme l’a montré Cariou (2004) pour le raisonnement analogique, c’est par l’introduction d’exercices centrés explicitement par l’enseignant sur le contrôle des analogies que les élèves entrent dans un processus favorable, semble-t-il, à l’apprentissage de l’histoire....

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01 Jan 2004

1,848 citations


"La conceptualisation en histoire au..." refers background in this paper

  • ...Ils mobilisent à cet effet leurs « représentations sociales », ce mode de connaissance du sens commun socialement élaboré et partagé relevant de leur pensée sociale et résultant de l'intériorisation par chaque individu d'expériences, de pratiques, de modèles de conduite et de pensée (Moscovici 1976)....

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Book
01 Jan 1962
TL;DR: The essay "Essai d'anthropologie sociale paru en 1962 aux editions Plon et adresse a Andre Breton qui y a insere une coupure de presse" as mentioned in this paper.
Abstract: Essai d'anthropologie sociale paru en 1962 aux editions Plon et adresse a Andre Breton qui y a insere une coupure de presse.Quatre images, une description.

938 citations

Journal ArticleDOI

478 citations

MonographDOI
01 Jan 2005
TL;DR: In this article, a text dans sa forme integrale et non modifiee, sur l'observation historique, la methode critique et l'analyse historique.
Abstract: Le texte dans sa forme integrale et non modifiee, sur l'observation historique, la methode critique et l'analyse historique. ©Electre 2018

322 citations