La crise a-t-elle rendu l'épargnant plus prudent ?
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Des données d'enquête uniques : Tns-Sofres mai 2007-juin 2009
- Et constituait un module complémentaire à l'enquête "Patrimoine 1998", sous la forme d'une seconde interview menée auprès de 1 135 ménages.
- Les deux dernières enquêtes comportent les éléments pertinents pour permettre une analyse fine des réactions des épargnants français à la crise financière.
- Celle de mai 2007 fournit en effet un état des lieux juste avant la crise ; en outre, une part important de l'échantillon d'alors, soit 2234 ménages, a été réinterrogée en juin 2009.
- Par ailleurs, l'enquête de 2009 comprend tout un module sur les réactions des ménages à la crise.
Des informations originales sur les préférences individuelles
- Les quatre enquêtes comprennent un grand nombre de questions plus qualitatives visant à mesurer les préférences individuelles à l'égard du risque et du temps à partir de choix de loteries, mais aussi en fonction des attitudes, des opinions, des comportements dans différents domaines de la vie (santé, professionnel, loisirs, famille, consommation, retraite…).
- Cette méthode éprouvée sur les différentes données propose des mesures ordinales synthétiques, sous forme de scores, des attitudes vis-à-vis du risque des individus, de leur préférence pour le présent, et de leur altruisme familial.
- La multiplication des données nous a permis de vérifier que ces indicateurs sont particulièrement robustes (par rapport au type de questions retenues, aux caractéristiques et aux facteurs explicatifs de ses scores, de leurs corrélations et de leurs effets sur le patrimoine, etc.).
- La nouvelle enquête de 2009 permet d'aller encore plus loin dans la compréhension des comportements patrimoniaux en mettant notamment en parallèle l'évolution des préférences au cours du temps en situation de crise et celle des patrimoines détenus.
- En particulier, pour les ménages ayant déjà répondu en 2007, les données vont nous permettre de savoir si les changements de comportement sont dus à des modifications des préférences des agents ou bien s'il s'agit plus simplement d'une adaptation au nouvel environnement économique et financier (baisse des ressources, exposition accrue aux risques et révisions des anticipations).
III -LES REACTIONS DES EPARGNANTS FRANÇAIS A LA CRISE
- Nous analysons ici les réactions des épargnants Français face à la crise financière.
- Les informations, à un niveau individuel, sont issues des enquêtes Tns-Sofres réalisée en 2007 et 2009 sur des échantillons de 3 800 ménages représentatifs de la population Française,.
Les ménages prennent moins de risque dans leurs choix financiers
- La distribution de la population en fonction du niveau de richesse financière montre peu de changement avant et après la crise financière de 2008 : pour les ménages ayant répondu aux deux enquêtes, seuls les plus riches (plus de 150 000 euros) ont vu leur nombre augmenter.
- Par ailleurs, un ménage sur deux pense que la crise va avoir des conséquences négatives "très importantes" ou "assez importantes" sur leur patrimoine et sur leurs revenus, deux sur trois anticipent une baisse de pouvoir d'achat, et un tiers craint pour son emploi.
- La segmentation "secteur exposé/secteur protégé" ressort également des réponses à la question : « Diriez-vous que depuis la crise financière, vous êtes devenus plus prudent, moins prudent, ou vous n'avez pas changé ».
- La moitié des ménages n'ont pas changé, une toute petite minorité (1 %) est prête à prendre plus de risque, et les autres (48 %), qui se recrutent principalement parmi les classes les plus défavorisées, se déclarent plus précautionneux.
Simple adaptation au nouvel environnement économique ou changement de préférences ?
- Ces données nous montrent déjà que la crise a eu un impact sur les anticipations des ménages relatives aux marchés boursiers et au marché de l'emploi.
- Ce pessimisme concernant les perspectives de revenus est d'ailleurs confirmé par les anticipations des ménages concernant leur probabilité de chômage futur qui est plus élevée (de 4%) en 2009 qu'en 2007.
IV-MESURER DIRECTEMENT LES PREFERENCES : DIVERSES METHODES
- Chaque questionnaire (de 1998 à 2009) inclut une série de mesures des préférences obtenues à l'aide de différentes méthodes.
- Les unes, dites « conventionnelles », sont proposées dans la littérature.
- Les autres proviennent d'une approche originale, fondée sur une procédure de scoring, que nous avons élaborée dès le questionnaire Quoi qu'il en soit, nous avons pris soin de proposer les mêmes mesures, conventionnelles ou scores, aux deux dernières vagues de 2007 et 2009, afin d'obtenir des comparaisons non biaisées des préférences, notamment pour les ménages suivis entre les deux dates.
Mesures conventionnelles des préférences
- Elle est fondée sur des choix hypothétiques de loteries concernant le revenu permanent de l'individu.
- Elle est notamment utilisée sur données de panel par Sahm (2008) .
- Compte tenu des imperfections de ces indicateurs pour appréhender les comportements de l'épargnant, nous avons initié une méthode plus hétérodoxe de mesure des préférences.
- Elle consiste à élaborer des scores pour « profiler » les individus suivant leur appétence pour le risque et leur façon d'appréhender le futur.
Une méthode alternative originale : l'élaboration de "scores" synthétiques et ordinaux
- Au total, ces scores sont construits à partir d'une centaines de questions, le score de risque retenant par exemple une soixantaine d'entre elles (voir Arrondel et Masson, 2007 et 2008) .
- On sait toutefois que ce modèle basique décrit mal les comportements des épargnants : en particulier, d'autres paramètres de préférence apparaissent nécessaires pour rendre compte de leur rationalité « limitée ».
- Une question de référence pour identifier δ est : "Suite à une charge de travail inopinée, votre employeur vous demande de reporter d'un an une semaine de vacances quitte à vous attribuer x jours supplémentaires de congé…".
- Les scores sont donc des mesures synthétiques, qualitatives et ordinales, supposés représentatifs des réponses fournies par l'enquêté à un ensemble de questions diverses (cf. Arrondel et al., 2004) .
La supériorité des scores sur les autres mesures de préférence
- On montre (Arrondel et Masson, 2010) que les préférences mesurées par les scores synthétiques ont de meilleures performances que les mesures conventionnelles, loteries et échelles en particulier.
- Les corrélations entre les scores différents scores de préférence sont également très proches d'une enquête à l'autre : par exemple une moindre tolérance au risque va avec une plus grande prévoyance (corrélation autour de 0,40).
V-LES EFFETS DE LA CRISE SUR LES PREFERENCES DE L'EPARGNANT FRANÇAIS
- La question centrale de cet article concerne l'interprétation du surcroît de prudence des épargnants Français pendant la crise, question qui remet en lumière une hypothèse fondamentale de l'analyse économique à savoir la stabilité temporelle des préférences.
- Pour cela, il s'est agi de « profiter » de la crise, non seulement pour comparer les comportements d'épargne, d'accumulation et de composition du patrimoine des ménages avant et après ce choc conjoncturel, mais aussi de mesurer son impact sur les préférences de l'épargnant.
Des scores de préférences à l'égard du risque et du long terme distribués de manière identique
- Comparons maintenant les histogrammes des scores de risque construits à partir des mêmes questions pour la sous-population des ménages ayant été interviewés avant et après la chute de Lehman-Brothers (graphique 5a).
- On constate que les deux histogrammes se superposent presque parfaitement, avec la même moyenne aux deux dates.
- Les scores nous indiquent donc que les épargnants n'ont pas "changé" : ils sont en moyenne tout aussi tolérants au risque qu'avant la crise, ni plus, ni moins.
- D'ailleurs, l'histogramme des changements individuels des scores entre les deux dates (graphique 5b) révèle une distribution purement aléatoire (de forme gaussienne), avec autant de ménages plus tolérants au risque que de ménages moins tolérants.
- Encore une fois, la distribution des variations individuelles suit une courbe de forme gaussienne, apparemment aléatoire (graphique 6b).
Des changements de préférence individuelle difficiles à expliquer
- Pour pouvoir conclure définitivement à la stabilité des préférences des épargnants, ces résultats nécessitent cependant une analyse plus poussée que cette simple étude descriptive des tendances moyennes.
- Une première étape consiste ainsi, à l'instar de Sahm (2008) , à étudier les variations "transitoires" individuelles des préférences sur les deux ans afin de savoir s'il s'agit d'un phénomène purement aléatoire ou bien si ces variations peuvent être expliquées par des caractéristiques individuelles ou des données macroéconomiques.
- Les premières études économétriques ne permettent pas de mettre en évidence d'effet significatif des changements des caractéristiques individuelles, pas plus que des changements de perception du contexte économique (le pouvoir explicatif global de la régression est de plus très faible).
- Seuls les ménages exprimant le sentiment d'être "très concerné par la crise" se révèleraient plus prudents selon notre score.
Des mesures traditionnelles mesurant d'autres phénomène que les préférences
- De nombreux indicateurs semblent montrer que l'épargnant français est devenu plus prudent dans ces comportements patrimoniaux après la crise financière de 2008.
- Les deux vagues de l'enquête Tns-Sofres nous permettent d'isoler les changements des différents déterminants des comportements d'épargne, d'accumulation et de composition du patrimoine : évolution des revenus, instabilité des préférences, révision des anticipations, plus grande exposition aux risques non financiers.
- Les informations recensées dans ces enquêtes montrent tout d'abord que les ménages estiment que leur avenir professionnel est plus sombre (hausse de la probabilité anticipée de chômage, baisse des revenus futurs attendus…) et espèrent des rendements moindres de leurs actifs patrimoniaux.
- Le constat relatif aux préférences dépend quant à lui de la méthode suivie pour les évaluer.
- Si, comme nous le démontrons, nos mesures présentent de meilleures propriétés que les autres (Arrondel et Masson, 2010) , ces conclusions signifieraient que les indicateurs habituellement utilisés dans la littérature mesurent en fait un composé hétérogène de préférences per se et d'autres éléments subjectifs plus volatiles, concernant l'exposition au risque ou encore un certain pessimisme vis-à-vis des marchés.
VI -CONCLUSIONS
- Dans cet article, nous avons cherché principalement à expliquer le désir de prudence accrue exprimé par les ménages après la crise financière de 2008.
- Pour mesurer ces différents impacts, nous disposions d'une source unique constituée par les deux vagues (avant et après la crise financière de 2008) d'une enquête Tns-Sofres destinée à mesurer les préférences et les anticipations des épargnants et parallèlement à quantifier leur niveau de richesse et sa composition.
- Le constat est moins clair sur l'évolution des préférences.
- Ces résultats font d'ailleurs écho à ceux de Sahm (2008) qui obtenait pour les Etats-Unis, à partir d'une méthodologie différente de mesure de l'aversion au risque (loterie à la Barsky), une relative stabilité des préférences au cours du temps, certes une période sans choc exogène de l'ampleur de celui de la crise financière présente.
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Citations
6 citations
Cites background from "La crise a-t-elle rendu l'épargnant..."
...We also gathered various risk-related questions in order to create an aggregate measure of risk aversion à la Arrondel and Masson (2010). We have questions on certainty equivalence, which measures the reservation price for the lottery....
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...It captures the core risk attitudes and reduces measurement errors and noise (Arrondel and Masson (2010, 2011))....
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References
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...Les autres mesures subjectives du type de celle de Kapteyn et Teppa (2009) ou de Iezzi (2008), qui consistent à interroger directement les ménages sur leurs intentions en matière d'investissement aboutissent à la même conclusion (voir graphique 2a) : les ménages seraient devenus plus prudents,…...
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...Les autres mesures subjectives du type de celle de Kapteyn et Teppa (2009) ou de Iezzi (2008), qui consistent à interroger directement les ménages sur leurs intentions en matière d'investissement aboutissent à la même conclusion (voir graphique 2a) : les ménages seraient devenus plus prudents,…...
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...7 Pour la justification de ce choix, voir Arrondel et Masson (2007)....
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...6 Pour une recension détaillée de ces mesures conventionnelles des préférences à l’égard du risque et du temps, qui incluent également des mesures sur données expérimentales, voir Arrondel et Masson (2010)....
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...…de la vie, comme la consommation, les loisirs, les placements, le travail, la famille, la santé, la retraite… Au total, ces scores sont construits à partir d’une centaines de questions, le score de risque retenant par exemple une soixantaine d’entre elles (voir Arrondel et Masson, 2007 et 2008)....
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...Nous avons pu ainsi étudier la transmission intergénérationnelle des préférences (Arrondel et Masson, 2007)....
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...…genre : "Prenez-vous un parapluie lorsque la météo est incertaine", ou "Garez-vous votre véhicule en état d'infraction", que des choix de loteries, des pratiques de consommation : « Vous arrive-t-il d’aller au spectacle un peu au 7 Pour la justification de ce choix, voir Arrondel et Masson (2007)....
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9 citations
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...L’enquête « patrimoine » 1998 de l’Insee et les enquêtes Tns-Sofres de 2002 et 2007 nous ont permis de mettre au point, à partir de toutes ces questions, une méthodologie pour mesurer les préférences des épargnants vis-à-vis du risque et du temps (Arrondel et Masson, 2008)....
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...Les scores possèdent par ailleurs des propriétés en général plus satisfaisantes que les mesures de préférences conventionnelles obtenues par exemple à partir de choix hypothétiques de loteries ou d'échelles auto-déclarées (Arrondel et Masson, 2008)....
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