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La démocratie sans territoire ? Habermas, Rawls et l'universalisme démocratique

01 Jan 1991-Quaderni (Centre de recherche et d'étude sur la décision administrative et politique)-Vol. 13, Iss: 1, pp 53-66
TL;DR: The article tente de rendre compte de ce debat en soulignant tout autant ses implications epistemologiques que proprement politiques as discussed by the authors.
Abstract: La polarite entre « territoires » et « communication » parait centrale dans les debats contemporains autour de la modernite democratique. L'universalisme democratique, dont J. Rawls et J. Habermas seraient les herauts, repose en effet sur un argument «communicationnel » selon lequel la descriptibilite et la legitimation de l'exigence democratique doivent s'appuyer sur le modele procedural de l'argumentation rationnelle. S'y opposent les partisans d'une approche « communautariste » du politique pour qui la Democratie ne peut etre etudiee et justifiee que dans le cadre de la territorialite (historique, culturelle, langagiere, ...) qui la fonde. Cet article tente de rendre compte de ce debat en soulignant tout autant ses implications epistemologiques que proprement politiques.

Summary (3 min read)

LES TERMES DU DEBAT: ««DEMOCRATIE PROCEDURALE» ET «COMMUNAUTE DEMOCRATIQUE»

  • Cette conception de la démoc ratie, qualifiée également de déontologique, s'inscrit dans la problématique kantienne de la Moralitat , c'est-à-dire d'une morale définie par un ensemble de normes caractérisées par leur prétention à l'universalité.
  • Contre cette conception de la «démocratie procédurale» , les «communautaristes» affirment l'inanité d'un projet qui consisterait à déterminer des règles de justice sans tenir compte de la cul ture, des traditions, du mode de vie des sociétés auxquels ces principes devraient s'appliquer.
  • A la perspective kantienne de la «démocratie procé durale», ils substituent celle, hégélienne d'une «démocratie substantielle «, comme «forme de vie éthique», d'une «communauté démocratique » ins crite dans une éthique sociale concrète et partagée (Sittlichkeit ), dans une moralité commune fondée sur une hiérarchie de valeurs propre à une com munauté historique, donc par nature particulariste.
  • IV raître désuet, voire régressif si l'on manquait d'y voir l'un des enjeux, l'une des expressions d'un conflit plus général, d'ordre épistémologique, opposant le rationalisme universaliste des L'argu ment relativiste des communautaristes vise la conception du sujet de la connaissance, l'image d'un moi comme centre naturel et a-historique absolu tisé par l'épistémologie et la métaphysiquemoderne.

UN ENJEU EPISTEMOLOGIQUE

  • Dans ce but, la construction rawlsienne opère une mise en cause radicale de toute théorie morale ou politique qui + serait fondée sur une conception préalable du bien.
  • La méthodologie employée par RAWLS consiste donc à définir préalablement des conditions équitables, «raisonnables» -grâce au voile d'igno rance -d'une procédure à l'issue de laquelle un contrat sera conclu, des principes de justice seront choisis par des agents rationnels, désireux de favoriser leur propre intérêt.

JUSTICE ET COMMUNAUTE : l'IDENTITE DEMOCRATIQUE EN QUESTION

  • Cette déterritorialisation de l'exigence démocrat ique dont la justification ne ressortirait que d'une teUe procédure formelle, M.WALZER l'analyse avec ironie comme le modèle théorique d'une sorte d'accord intersidéral (et par là forcément universaliste) passé entre des voyageurs de pays et de cultures morales différentes et placés devant l'obligation de coopérer -au moins temporaire ment (WALZER M., 1990) .
  • Dans une telle situa tion, le voile d'ignorance devient une nécessité pratique puisque l'impératif de coopération entre des étrangers exige de chacun d'eux de «mettre en sourdine ses propres valeurs et ses propres prati ques», exige qu'ils «parlent et pensent dans quel que volapûk qui parasiterait de manière égale toutes leurs langues naturelles * un esperanto parfait» (ibid. : 24).
  • Les principes de coopération retenus pourraient bien alors être ceux décrits par RAWLS.
  • Mais, poursuit WALZER, «ce qui est moins plausible, c'est que nos voyageurs rapport ent ce principe chez eux quand ils s'en retourne ront» (ibid.).
  • Bref, le procéduralisme de RAWLS ne peut rendre compte de principes qui gouvernent déjà l'existence de communautés qui, hors de l'espace sidéral, sont façonnées par une culture morale particulière commune, consti tuées par le partage d'un langage naturel propre qui fonde un ensemble de significations parta gées sur la justice et en rend possible la mise en discours.

Une façon plus précise d'établir cette

  • «Toute norme valide ferait l'unanimité de toutes les personnes concernées si celles-ci pouvaient simplement prendre part à une discussion prati que» (1983 : 137).
  • Cette conception moderne de la «bonne vie», qui s'esquisse dans la Grèce démocratique pour s'af firmer pleinement en Occident sous l'influence du christianisme et du droit naturel stoïcien, s'e xprime sous la forme de l'attribution universelle de la personnalité morale.
  • HABERMAS peut alors justifier dans ces termes la possibilité même d'une «forme de vie universaliste» :.

COMMENT RENDRE COMPTE D'UNE FORME DE VIE DEMOCRATIQUE : i LA MEDIATION PROCEDURALE t-

  • Cette nécessaire inscription de l'exigence univers aliste dans une forme de vie démocratique nous permet de rendre compte différemment du procéduralisme de RAWLS et HABERMAS.
  • Cette articulation, cette explidtation s'opère alors dans le cadre de ce que RAWLS appelle le «cons tructivisme kantien», c'est-à-dire en faisant déri ver le contenu des prindpes de justice d'une certaine conception de la personne affirmée implicitement dans notre culture démocratique.
  • Ainsi, la position originelle consiste t-elle à fo rmal i ser une situation équitable dans laquelle les citoyens d'une sodété démocratique seraient représentés uniquement comme des personnes morales libres et égales -d'où la nécessité du voile d'ignorance -à l'issue de laquelle certains prindpes de justice seraient choisis.
  • La démarche habermassienne doit être analysée de la même façon, mais dans un sens encore plus radical.
  • Ainsi l'opposition entre Moralitat et Sittlichkeit , entre rationalité procédurale et rationalité subs tantielle perd beaucoup de sa valeur puisque, dans la discussion pratique, la substance, le con tenu même du procès d'intercompréhension, surgit et se détache de l'horizon propre au monde vécu d'un groupe sodal particulier lors d'un conflit d'action inhérent à une situation.

LA DEMOCRATIE SANS TERRITOIRE OU L'INACHEVEMENT DEMOCRATIQUE

  • En montrant comment les approches procédural es de RAWLS et HABERMAS ne relèvent en aucun cas d'un formalisme vide, détaché de toute ancrage dans une totalité concrète, nous avons tenté de retourner aux communautaristes leur argument herméneutique.
  • L'argument procédural doit en effet être lu, d'une part, comme un argument épistémologique pointant les conditions de descriptibilité de l'exigence démocratique, et d'autre part, comme un argu ment politique determinant le mode de légitima tion de celle-ci dans le cadre de la Modernité.
  • La médiation procédurale consiste donc à dévoiler dans les formes de la communicat ion ou de la délibération rationnelle ce qui fonde les possibilités mêmes d'un ordre démocratique.
  • Il est irreprésentable autrement que dans et par sa mise en forme dans des pratiques énondatives.

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Philippe Chanial
La démocratie sans territoire ? Habermas, Rawls et
l'universalisme démocratique
In: Quaderni. N. 13-14, Printemps 1991. pp. 53-66.
Résumé
La polarité entre « territoires » et « communication » paraît centrale dans les débats contemporains autour de la modernité
démocratique. L'universalisme démocratique, dont J. Rawls et J. Habermas seraient les hérauts, repose en effet sur un argument
«communicationnel » selon lequel la descriptibilité et la légitimation de l'exigence démocratique doivent s'appuyer sur le modèle
procédural de l'argumentation rationnelle. S'y opposent les partisans d'une approche « communautariste » du politique pour qui
la Démocratie ne peut être étudiée et justifiée que dans le cadre de la territorialité (historique, culturelle, langagière, ...) qui la
fonde. Cet article tente de rendre compte de ce débat en soulignant tout autant ses implications épistémologiques que
proprement politiques.
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Chanial Philippe. La démocratie sans territoire ? Habermas, Rawls et l'universalisme démocratique. In: Quaderni. N. 13-14,
Printemps 1991. pp. 53-66.
doi : 10.3406/quad.1991.1929
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/quad_0987-1381_1991_num_13_1_1929

PHILIPPE
CHANIAL
LA
DEMOCRATIE
SANS
TERRITOIRE
?
HABERMAS,
RAWLS
ET
L'UNIVERSALISME
DEMOCRATIQUE
L
a
modernité
démocratique,
telle
qu'elle
émerge
du
projet
d'émancipation
des
Lumières,
s'est
construite
en
opposition
frontale
à
la
tradition,
contre
les
images
du
monde
mythiques,
cosmolog
iques
ou
théologiques
qui
la
fondaient.
En
sub
stituant
à
ces
diverses
conceptions
normatives
du
bien,
de
la
vertu
ou
de
l'intérêt
commun
un
prin
cipe
formel
de
la
raison,
elle
affirme
son
uni
versa-
lisme
et
prétend
se
détacher
de
tout
ancrage
terri
torial
qu'il
soit
de
nature
historique
ou
culturel.
L'uni
versalisme
démocratique
moderne,
tel
qu'il
s'exprime
dans
le
cadre
des
théories
contractua-
listes
(ROUSSEAU,
LOCKE)
ou
transcendentales
(KANT),
s'inscrit
alors
dans
ce
que
nous
appele-
rons
la
figure
de
la
«démocratie
procédurale
».
Nous
nous
proposons,
dans
cet
article,
d'analyser
les
prolongements
contemporains
de
cette
théor
ie
de
la
démocratie
procédurale
à
travers
deux
grandes
oeuvres
philosophiques
politiques
et
morales,
celles
de
J.HABERMAS
et
J.RAWLS(1).
Celles-ci,
dans
le
cadre
de
la
problématique
d'une
confrontation
complexe
entre
«Territoires
et
Communication
«,
méritent
d'être
retenues
dans
le
sens
nous
voudrions
montrer
qu'elles
systé
matisent
l'impératif
procédural
à
travers
un
argu
ment
«communicationnel.».
En
effet,
pour
ces
au
teurs,
la
légitimité
et
la
descriptibilité
de
l'ordre
démocratique
reposeraient
sur
les
procédures
et
les
présupposés
de
la
communication,
de
l'inte
rcompréhension
par
lesquels
un
consensus
entre
des
individus
libres
et
égaux
peut
être
atteint.
Nous
présenterons
ces
théories
de
la
«communicat
ion
démocratique»
(2)
en
les
confrontant
à
la
crit
ique
néo-aristotélicienne
et
néo-hégelienne
pré
sentée
à
leur
encontre
par
les
«communautaris-
tes»
(3)
dont
l'argument
principal
consiste
à
«re-
territorialiser»
l'exigence
démocratique
en
l'in
scrivant
au
sein
de
communautés
politiques
subs
tantielles,
dans
le
cadre
d'une
tradition
nourrie
d'une
hiérarchie
de
valeurs
préalable.
CREDAP
UNIVERSITE
PARIS
DAUPHINE
.
Ce
que
nous
voudrions
souligner
à
travers
cette
53
QUADERNI
N-13-14-
PRINTEMPS
1991
OO
*
LA
DEMOCRATIE
SANS
TERRITORE
t

IV
confrontation,
c'est
que,
si,
dans
la
perspective
d'une
théorisation
de
la
Démocratie,
les
théories
procédurales
ou
formalistes
peuvent
être
enri
chies
au
contact
des
critiques
communautaristes,
la
nécessité
d'une
approche
procédurale
resurgit
dès
lors
que
l'on
fait
retour
aux
implications
épistémologiques
de
l'argument
communauta-
riste.
En
effet,
si
l'on
ne
peut
retenir
de
la
Démoc
ratie
son
unique
aspect
procédural,
et
si
donc,
l'on
doit
en
rendre
compte
comme
une
«forme
de
vie»
inséparable
de
ses
interprétations
collectives
du
monde,
de
ses
façons
de
se
comprendre
soi-
même,
de
ses
traditions
et
de
ses
valeurs,
l'arg
ument
procédural
retrouve
sa
force
puisqu'il
sou
ligne
en
quoi
cette
thématisation
d'une
«forme
de
vie
démocratique»
ne
peut
être
immédiate,
mais
nécessite
une
médiation
d'ordre
procédural
,
c'est-à-
dire
une
saisie
des
propriétés
formelles
de
l'arg
umentation,
de
la
communication
interpersonn
elle.
Nous
tenterons
ensuite
de
radicaliser
cette
problématique
en
montrant
comment
une
appro
che
purement
procédurale
permet
de
dépasser
les
apories
d'un
modèle
esthétique
de
la
commun
auté
démocratique
et
peut
rendre
compte
du
caractère
inachevé
de
l'exigence
démocratique.
LES
TERMES
DU
DEBAT:
««DEMOCRATIE
PROCEDURALE»
ET
«COMMUNAUTE
DEMOCRATIQUE»
Le
procès
de
l'universalisme
démocratique,
dont
RAWLS
et
HABERMAS
seraient
les
hérauts,
s'opère
à
travers
la
stigmatisation
de
la
«démoc
ratie
procédurale».
Cette
conception
de
la
démoc
ratie,
qualifiée
également
de
déontologique,
s'inscrit
dans
la
problématique
kantienne
de
la
Moralitat
,
c'est-à-dire
d'une
morale
définie
par
un
ensemble
de
normes
caractérisées
par
leur
prétention
à
l'universalité.
Dans
le
cadre
de
cette
problématique,
la
démocratie
se
voit
définie
davantage
au
regard
de
procédures,
de
«règles
du
jeu
démocratique»
comme
règles
du
jeu
justes
qu'en
référence
à
ce
qui
constitue
l'idéal
substant
iel
de
la
démocratie,
l'idéal
de
justice.
La
cation
de
l'exigence
démocratique
relève
donc
ici
uniquement
d'une
elucidation
de
ses
propriétés
formelles,
à
prétention
universaliste,
et
non
de
la
prise
en
compte
de
sa
nature
ou
de
son
contenu
substantiel.
Cette
thèse,
qui
porte
sur
la
forme
plutôt
que
sur
le
contenu,
constitue
une
éthique
des
règles
posant
«les
méta-principes
[qui]
explici
tent
les
conditions
qui
doivent
être
remplies
pour
que
des
contenus
spécifiques
puissent
être
appel
és
légitimes.
Dans
la
mesure
ces
conditions
sont
remplies,
tout
contenu
-
qu'il
s'agisse
de
dispositions
institutionnelles,
de
formes
de
vie,
de
choix
individuels,
de
formes
d'action,
etc..
est
légitime.»(WELLMER
A.
,
1989
:
522).
Contre
cette
conception
de
la
«démocratie
procédurale»
,
les
«communautaristes»
affirment
l'inanité
d'un
projet
qui
consisterait
à
déterminer
des
règles
de
justice
sans
tenir
compte
de
la
cul
ture,
des
traditions,
du
mode
de
vie
des
sociétés
auxquels
ces
principes
devraient
s'appliquer.
A
la
perspective
kantienne
de
la
«démocratie
procé
durale»,
ils
substituent
celle,
hégélienne
d'une
«démocratie
substantielle
«,
comme
«forme
de
vie
éthique»,
d'une
«communauté
démocratique
»
ins
crite
dans
une
éthique
sociale
concrète
et
partagée
(Sittlichkeit
),
dans
une
moralité
commune
fondée
sur
une
hiérarchie
de
valeurs
propre
à
une
com
munauté
historique,
donc
par
nature
particula-
riste.
A
l'éthique
déontologique
des
règles,
les
communautaristes
opposent
ainsi
une
éthique
téléologique
du
bien
commun
(4)
,
dans
laquelle,
au
delà
de
la
dette
à
HEGEL,
se
lit
celle
à
ARIS
TOTE,
à
sa
conception
de
la
communauté
et
de
la
«bonne
vie».
L'argument
communautariste
cons
iste
donc,
contre
la
prétention
universaliste
des
partisans
de
la
«démocratie
procédurale»,
à
réins
crire
l'exigence
démocratique
dans
sa
territoriali
constitutive.
UN
ENJEU
EPISTEMOLOGIQUE
:
LA
QUESTION
DU
LANGAGE
Ce
retour
au
débat
KANT/HEGEL
pourrait
pa-
QUADERNI
N>13-14
-
PRINTEMPS
1991
54
LA
DEMOCRATE
SANS
TERRITOIRE
?

IV
raître
désuet,
voire
régressif
si
l'on
manquait
d'y
voir
l'un
des
enjeux,
l'une
des
expressions
d'un
conflit
plus
général,
d'ordre
épistémologique,
opposant
le
rationalisme
universaliste
des
Lu
mières
et
sa
mise
en
question
par
le
«relativisme»
contemporain
participant
de
près
ou
de
loin
à
ce
que
l'on
a
appelé
la
post-modernité
(5).
L'argu
ment
relativiste
des
communautaristes
vise
la
conception
du
sujet
de
la
connaissance,
l'image
d'un
moi
comme
centre
naturel
et
a-historique
absolu
tisé
par
l'épistémologie
et
la
métaphysique
-
moderne.
Il
vise
également,
et
corrélativement,
la
raison
universelle
comme
méthode
de
product
ion
exclusive
de
la
vérité
et
principe
suprême
de
l'action.
Contre
cette
conception
absolutiste
et
désincarnée
du
sujet
et
de
sa
rationalité,
les
com
munautaristes,
à
la
suite,
notamment,
de
la
phé
noménologie
de
HEIDEGGER,
l'herméneutique
de
G
AD
AMER
et
la
philosophie
du
langage
ordi
naire
de
WITTGENSTEIN,
proposent
une
appro
che
relativement
locale
du
moi
selon
laquelle,
comme
l'écrit
CTAYLOR,
«la
communauté
est
constitutive
de
l'individu
»
(TAYLOR
C,
1979
:
14-
23,
84-95
;
1985b).
Cette
inscription
communaut
aire
du
sujet
et
de
sa
rationalité
signifie
ainsi,
dans
cette
perspective
épistémologique,
que
l'homme
ne
peut
être
un
sujet
moral
et
politique
hors
d'une
tradition
portée
par
un
langage,
d'une
communauté,
d'une
«forme
de
vie»
concrète,
constituée
de
«jeux
de
langage»
permettant
la
mise
en
oeuvre
d'un
discours
mutuel
sur
le
juste
i
et
l'injuste,
le
légitime
et
l'illégitime,...
Comme
'
l'écrit
CMOUFFE,
«c'est
notre
insertion
dans
l'historicité,
le
fait
que
nous
sommes
construits
comme
sujets
à
travers
un
ensemble
de
discours
déjà
existants
et
que
c'est
à
partir
de
cette
tradition
qui
nous
constitue
que
le
monde
nous
est
donné
¦
et
que
toute
action
politique
est
possible»
*
(MOUFFE
0,1990:22).
Comment,
dans
ce
cadre
épistémologique
re
nouvelé,
s'articule
la
critique
communautariste
de
la
«démocratie
procédurale»
défendue
par
;
RAWLS
et
HABERMAS
?
LA
JUSTICE
PROCEDURALE
PURE
SELON
J.RAWLS
La
Théorie
de
la
Justice
de
J.RAWLS
touche
au
;
plus
près
du
débat
qui
nous
intéresse
ici
(6).
Son
r
projet
consiste
en
effet
à
présenter
une
conception
f
de
la
justice
susceptible
de
constituer
la
«base
morale
qui
convient
le
mieux
à
une
société
démoc
ratique»
(RAWLS
J.,
1987
:
20).
Dans
ce
but,
la
construction
rawlsienne
opère
une
mise
en
cause
radicale
de
toute
théorie
morale
ou
politique
qui
+
serait
fondée
sur
une
conception
préalable
du
bien.
En
affirmant,
à
la
suite
de
KANT,
la
primaut
é
du
juste
sur
le
bien,
il
récuse
toute
conception
i
téléologique
de
la
justice,
qu'il
s'agisse
de
l'util
itarisme
dans
sa
prétention
à
identifier
le
juste
avec
la
maximisation
du
bien-être
général,
ou
de
la
tentation
communautariste
d'identifier
la
jus
tice
à
la
réalisation,
à
travers
la
participation
à
une
communauté
d'appartenance,
d'une
certaine
'
conception
de
la
nature
humaine.
L'argument
de
i
RAWLS
se
présente
alors
comme
un
argument
déontologique
dont
M.SANDEL
nous
explique
*
ainsi
la
thèse
principale
:
«la
société,
étant
compos
ée
d'une
pluralité
de
personnes,
chacune
avec
ses
propres
fins,
intérêts
et
conceptions
du
bien,
est
mieux
ordonnée
lorsqu'elle
est
gouvernée
par
des
principes
qui
ne
présupposent
par
eux-
mêmes
aucune
conception
particulière
du
bien;
ce
qui
justifie
avant
tout
ces
principes
régulateurs
(...)
c'est
leur
conformité
au
concept
du
juste,
une
catégorie
morale
donnée
antérieurement
au
bien
et
indépendamment
de
lui.»
(SANDEL
M.,
1982
:
1).
.
SANDEL
souligne
ici
avec
précision
le
lien
néces
saire
entre
le
projet
d'une
théorie
déontologique
de
la
justice
et
une
certaine
conception
du
sujet
comme
«un
soi
antérieur
à
ses
fins»,
un
«choosing
self«.
La
construction
rawlsienne
consiste
ainsi
à
offrir
à
ces
sujets
autonomes,
«hyper-kantiens»,
un
cadre
neutre
dans
lequel
ils
pourront
choisir
librement
leurs
propres
valeurs
et
fins,
compatib
les
avec
une
liberté
identique
pour
tous.
Ce
4
QUADERNI
N"
13-14
-
PRINTEMPS
1991
55
LA
DEMOCRATIE
SANS
TERRiïOKE
1

IV
cadre
neutre
quant
aux
fins,
c'est
ce
que
RAWLS
nomme
la
«structure
de
base»
en
tant
que
celle-ci
serait
régie
par
certains
principes
de
justice.
Tout
le
projet
de
RAWLS
consiste
alors
à
définir
ces
principes
applicables
à
la
structure
de
base
et
à
s'en
assurer,
par
une
méthodologie
appropriée,
le
caractère
juste.
Cette
méthodologie
a
pour
but,
comme
nous
le
verrons
également
pour
HABER
MAS,
d'inscrire
la
morale
kantienne
dans
une
perspective
empirique.
RAWLS
écrit
ainsi
:
«agir
d'après
les
principes
de
justice,
c'est
agir
d'après
des
impératifs
catégoriques,
en
ce
sens
qu'ils
s'ap
pliquent
à
nous
quels
que
soient
nos
objectifs
particuliers»
(RAWLS
J.,
1987
:
290).
Afin
de
défi
nir
des
principes
de
justice
sous
la
forme
d'impér
atifs
catégoriques
(et
non
hypothétiques),
l'au
teur
fait
appel
à
une
situation
fictive
qu'il
appelle
la
position
originelle
,
procédure
formelle
dans
laquelle
des
sujets
autonomes
pourraient,
en
fa
isant
abstraction
de
leurs
intérêts
propres,
exercer
un
jugement
moral
authentique,
susceptible
d'universalisation,
et
ainsi
conclure
un
contrat
permettant
d'organiser
la
coexistence
des
libertés
et
de
fixer
des
principes
de
coopération
mutuelle.
Cette
situation
fictive
est
soumise
à
une
condition
essentielle
:
les
partenaires
sont
placés
sous
un
voile
d'ignorance
,
c'est-à-dire
qu'ils
n'ont
accès
à
aucune
information
particulière
(leur
place
dans
la
société,
leur
conception
du
bien,
leurs
dons
naturels
et
leurs
traits
psychologiques
propres,
les
circonstances
particulières
de
leur
société,...)
qui
les
inscrirait
ainsi
dans
une
situation
soumise
aux
diverses
contingences
propres
à
un
système
social
donné,
autorisant
de
la
sorte
certains
des
partenaires
à
formuler
des
principes
favorisant
leur
condition
propre.
La
méthodologie
employée
par
RAWLS
consiste
donc
à
définir
préalablement
des
conditions
équitables,
«raisonnables»
-
grâce
au
voile
d'igno
rance
-
d'une
procédure
à
l'issue
de
laquelle
un
contrat
sera
conclu,
des
principes
de
justice
seront
choisis
par
des
agents
rationnels,
désireux
de
favoriser
leur
propre
intérêt.
Par
cette
logie,
RAWLS
présente
une
conception
de
la
jus
tice
qu'il
qualifie
de
«pure
procedural
«,
dans
le
sens
ce
qui
est
juste
ne
dépend
pas
de
critères
indépendants,
mais
est
défini
exclusivement
par
le
résultat
de
la
procédure
elle-même.
JUSTICE
ET
COMMUNAUTE
:
l'IDENTITE
DEMOCRATIQUE
EN
QUESTION
Cette
déterritorialisation
de
l'exigence
démocrat
ique
dont
la
justification
ne
ressortirait
que
d'une
teUe
procédure
formelle,
M.WALZER
l'analyse
avec
ironie
comme
le
modèle
théorique
d'une
sorte
d'accord
intersidéral
(et
par
forcément
universaliste)
passé
entre
des
voyageurs
de
pays
et
de
cultures
morales
différentes
et
placés
devant
l'obligation
de
coopérer
-
au
moins
temporaire
ment
(WALZER
M.,
1990).
Dans
une
telle
situa
tion,
le
voile
d'ignorance
devient
une
nécessité
pratique
puisque
l'impératif
de
coopération
entre
des
étrangers
exige
de
chacun
d'eux
de
«mettre
en
sourdine
ses
propres
valeurs
et
ses
propres
prati
ques»,
exige
qu'ils
«parlent
et
pensent
dans
quel
que
volapûk
qui
parasiterait
de
manière
égale
toutes
leurs
langues
naturelles
*
un
esperanto
parfait»
(ibid.
:
24).
Les
principes
de
coopération
retenus
pourraient
bien
alors
être
ceux
décrits
par
RAWLS.
Mais,
poursuit
WALZER,
«ce
qui
est
moins
plausible,
c'est
que
nos
voyageurs
rapport
ent
ce
principe
chez
eux
quand
ils
s'en
retourne
ront»
(ibid.).
Bref,
le
procéduralisme
de
RAWLS
ne
peut
rendre
compte
de
principes
qui
gouvernent
déjà
l'existence
de
communautés
qui,
hors
de
l'espace
sidéral,
sont
façonnées
par
une
culture
morale
particulière
commune,
consti
tuées
par
le
partage
d'un
langage
naturel
propre
qui
fonde
un
ensemble
de
significations
parta
gées
sur
la
justice
et
en
rend
possible
la
mise
en
discours.
Une
façon
plus
précise
d'établir
cette
critique
conduit
A.MAC
INTYRE
et
MSANDEL
à
ques
tionner
ce
qui
fonde
la
construction
rawlsienne,
sa
conception
du
sujet.
Pour
le
premier
(MAC
QUADERNI
N*13-14
-
PRINTEMPS
1991
56
LA
DEMOCRATE
SANS
TERRITOIRE
?

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TL;DR: In this paper, a judge in some representative American jurisdiction is assumed to accept the main uncontroversial constitutive and regulative rules of the law in his jurisdiction and to follow earlier decisions of their court or higher courts whose rationale, as l
Abstract: 1.. HARD CASES 5. Legal Rights A. Legislation . . . We might therefore do well to consider how a philosophical judge might develop, in appropriate cases, theories of what legislative purpose and legal principles require. We shall find that he would construct these theories in the same manner as a philosophical referee would construct the character of a game. I have invented, for this purpose, a lawyer of superhuman skill, learning, patience and acumen, whom I shall call Hercules. I suppose that Hercules is a judge in some representative American jurisdiction. I assume that he accepts the main uncontroversial constitutive and regulative rules of the law in his jurisdiction. He accepts, that is, that statutes have the general power to create and extinguish legal rights, and that judges have the general duty to follow earlier decisions of their court or higher courts whose rationale, as l

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01 Jan 1988

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01 Jan 1988

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01 Jan 1989-Critique
TL;DR: Le debat dans la pensee moderne (Hegel, Tocqueville, Rawls, Habermas, Nozick, etc.) entre tenants of la conception communautaire de la liberte and de la conception individualiste is described in this paper.
Abstract: Le debat dans la pensee moderne (Hegel, Tocqueville, Rawls, Habermas, Nozick, etc...) entre tenants de la conception communautaire de la liberte et de la conception individualiste

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Frequently Asked Questions (1)
Q1. What have the authors contributed in "La démocratie sans territoire ? habermas, rawls et l'universalisme démocratique" ?

In this paper, the author tente de rendre compte de ce débat en soulignant tout autant ses implications épistémologiques que proprement politiques.