Abstract: La conception de l'essence de la philosophie qui vient d'etre esquissee paraitrait se recommander pour plusieurs raisons:
a)
Elle presente la philosophie comme etant une science, en intention et potentiellement, au meme sens du mot „science“ que par exemple la physique ou la biologie: mais une science dont le sujet propre de recherches est different de celui des sciences naturelles; et d'ailleurs une science qui n'est pas encore tres avancee, parce que son sujet propre, et la methode de recherche qui lui est appropriee n'ont generalement pas ete discernes d'une facon adequate.
b)
En faisant une distinction entre les problemes pratiques a resoudre par la philosophie, et les problemes de philosophie, qui sont theoriques, notre conception rend justice, d'une part a l'opinion que la reflection philosophique peut et doit contribuer a la sagesse dans la conduite des affaires pratiques, et d'autre part au fait que beaucoup des problemes theoriques de la philosophie sont aussi abstrus, abstraits et techniques, et en apparence aussi denues d'implications pratiques, que beaucoup des problemes de physique theorique ou des mathematiques pures; mais la relation entre la theorie et la pratique est logiquement la meme dans les deux cas. En consequence meme les questions philosophiques les plus abstraites, quand elles ne sont pas des pseudo-questions et sont bien posees, ont potentiellement une importance pratique de l'espece particuliere qui a ete indiquee.
c)
La conception de la philosophie que nous avons ebauchee fait place, dans le domaine general de la philosophie, non seulement a la morale et aux autres branches de la philosophie dites normatives, mais aussi a la metaphysique et a l'epistemologie, tant que les hypotheses de ces dernieres ne sont pas dogmatiques, mais peuvent etre mises a l'epreuve consistant a voir si elles s'accordent avec les faits observables de l'espece appropriee, aussi bien qu'a l'epreuve de coherence interne et de coherence reciproque ou mutuelle.
d)
La conception philosophique presentee specifie quelle est l'espece de faits pouvant servir de reference pour controler empiriquement la validite ou l'invalidite des speculations philosophiques quand elles ne sont pas presentees comme des revelations d'oracle, et ainsi rend claire la forme particuliere que la methode scientifique, generatrice de connaissances, et non de simples croyances, doit assumer, lorsqu'elle est appliquee au sujet de recherches qui distingue la philosophie des autres sciences.
e)
Finalement, notre conception met en relief le fait que les mots (et en particulier les termes de valeur, et autres termes philosophiques) sont des outils crees par l'homme tout autant qu'une hache, un moteur electrique ou une maison; que les mots sont les moyens les plus typiques par lesquels les hommes s'influencent reciproquement, et enfin que les mots influencent les sentiments, les croyances et les actions, meme quand ils sont mal compris ou employes a tort. En consequence l'analyse ou la fixation de leur signification, qui permet de les appliquer avec discernement et sans malentendu aux faits, actions ou evenements concrets, est une tâche de la plus haute importance pour l'homme vivant en societe.