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Les ondes de choc des révolutions arabes

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In this article, the authors formulate the question of the Turkish model in the context of the Arab world and propose a model based on the AKP, which is able to define Islam in conservative and orthopraxical terms and not Turkey as a state.
Abstract
Is Turkey of the AKP accepted as a model in the Arab world ? If Erdogan’s Turkey had enjoyed a certain popularity in the Arab world before the revolutionary contests for her efforts of democratization, her economic success and most importantly her critical stand vis-à-vis Israel, the Turkish diplomacy seems to be unable to adopt itself to new contexts. From 2011 to 2013, Ankara was obliged to change its Arab LeS OnDeS De ChOC DeS révOLuTIOnS arabeS 32 politics according new crisis in the Arab world, particularly in Syria. It is thus important to formulate the question of the “Turkish model”: that is the AKP, which is able to define Islam in conservative and orthopraxical terms, and not Turkey as a state, which constitutes a model. This model, which allows the rulers to adopt eclecticism as a mode of governance, represents some common features with the past Bonapartism and the current “Poutinism” rather than with the revolutionary ideals of Sayyid Qotb in the sense that it allows. Key-Words: Syria, Libya, Tunisia, Israël, Islamism, AKP, Foreign Policy, Arab Revolution, Erdogan, al-Assad L’une des conséquences des contestations révolutionnaires arabes fut de réactualiser la question des modèles, avec laquelle les sciences sociales sont somme toute relativement familières. Dans le contexte arabe de 2011-2012, cependant, celle-ci gagna une rare complexité, puisque le débat porta simultanément sur la place des conigurations contestataires arabes dans l’histoire des révolutions (retour à la matrice de 1789 ? analogie avec le « Printemps des peuples » de 1848 ?), sur la capacité des sociétés arabes à produire leurs propres références à l’antipode des modèles de Téhéran et de Peshawar qui avaient du moins partiellement déterminé leur passé récent, et enin, sur les sources d’inspiration disponibles dans le monde musulman pour construire des régimes à la fois musulmans, à savoir « authentiques », disposant d’une historicité, et partant, des spéciicités propres, et démocratiques, autrement dit capables d’instituer localement la cité bourgeoise. Les regards se tournèrent dès lors inévitablement vers la Turquie de l’AKP (Parti du développement et de justice), pays censé combiner harmonieusement identité religieuse musulmane, conservatisme social modéré et démocratie parlementaire avec de réelles alternances. Les rapports étroits que la Turquie entretenait avec le monde arabe se traduisant par des données statistiques vertigineuses , l’immense popularité dont jouissait Recep Tayyip Erdogan, Premier ministre turc, dans le monde arabe et les éloges réitérés dont il faisait l’objet de la part des anciens mouvements islamistes convertis au conservatisme social et 1. À titre d’exemple, le volume des échanges commerciaux entre la Turquie et le monde arabe passa de près de 36 milliards de dollars en 1981 à près de 300 milliards en 2010, alors que le nombre de déplacements entre les deux mondes, limité à près de 6.800.000 personnes en 1995 atteignit près de 30 millions de personnes quinze ans après (Kırıșçı 2011, p. 38, 45). heurS eT MaLheurS De La POLITIque arabe De La TurquIe 33 au néolibéralisme économique, semblaient apporter la preuve irréfutable de l’« exportabilité » d’un modèle produit dans le « centre » vers d’autres contrées de son « ex-espace impérial ». La doctrine dite Davutoglu, élaborée par l’actuel ministre turc des Afaires étrangères dans son désormais trop célèbre ouvrage intitulé Profondeur stratégique , refusant toute ambition néo-impériale, mais chargeant néanmoins la Turquie d’une responsabilité historique, avec des droits et des devoirs aférents, dans son ex-espace impérial, ne pouvait que renforcer cette entreprise de construction de modèle (Davutoğlu 2001). Dans quelle mesure la Turquie de l’AKP qui, dans la continuité d’un héritage aussi long que complexe que nous ne pourrons analyser ici, ambitionne de redéinir l’islam à partir de la « turcité », est-elle, ou peutelle être acceptée comme un modèle dans le monde arabe (Bozarslan 2013a et b) ? À défaut d’enquêtes de terrain un tant soit peu iables sur le sujet (oran 2012), nous serons contraints dans cette contribution d’apporter, dans un premier temps, quelques éléments explicatifs sur la popularité de la Turquie dans le monde arabe à la veille des contestations révolutionnaires, pour insister ensuite sur les « rectiications » politiques et diplomatiques auxquelles Ankara a dû procéder ain de faire face aux changements survenus dans la région. Retournant, dans un troisième temps, à la question des modèles, nous suggérerons la nécessité d’établir une distinction entre la Turquie en tant que puissance régionale et l’AKP en tant que régime politique et social. Nous pourrons en efet penser, sous forme d’hypothèse qui reste à conirmer, que les méiances que suscite le projet hégémonique turc au sein des opinions publiques et des « classes politiques » arabes, puissent ne pas être contradictoires avec l’attrait de l’AKP comme source d’imitation des partis conservateurs issus de l’islamisme, désormais au pouvoir dans plus d’un pays. Le contexte des années 2000 Les années 2000, marquées par la victoire électorale de l’AKP en 2002, puis la consolidation de son pouvoir après les élections de 2007, témoignèrent d’un net changement d’image de la Turquie dans le monde arabe. Une telle évolution n’allait pourtant pas de soi tant le pays était considéré comme l’allié stratégique historique d’Israël et à l’avant-garde 2. Voir notamment le dossier spécial de la revue Insight Turkey (13/2, 2011), opportunément intitulé « Debating ‘Turkish Model’ in the Middle East ». LeS OnDeS De ChOC DeS révOLuTIOnS arabeS 34 de la lutte contre l’islamisme. Comment oublier, en efet, que la dernière intervention musclée de l’armée en 1997 s’était soldée par le renversement du pouvoir islamiste de courte durée du Parti Refah (Parti de la Prospérité) de Necmettin Erbakan (1926-2011) dont sont issus la plupart des dirigeants de l’AKP. Rien n’indiquait, en efet, que le gouvernement de l’AKP, faisant face à une opposition musclée des militaires, ainsi que d’un président, d’une bureaucratie et d’une intelligentsia kémalistes puissants, allait pouvoir s’ancrer dans la durée, survivre à plusieurs tentatives de coup d’État et éviter de justesse sa dissolution par la Cour constitutionnelle en 2008. Son règne, sur la brèche mais constamment miraculé, son rapprochement, certes momentané, avec l’Europe, certaines de ses mesures de démocratisation qui lui valurent pour un temps la sympathie de la gauche libérale turque et enin, la transformation de la Turquie en 17e puissance économique du monde sous sa domination (Cizre 2008), furent interprétés dans le monde arabe comme autant de signes continus de l’irréversibilité d’un modèle démocratique prospère, et pourtant attaché à son identité musulmane « première ». Force est en efet d’admettre que le régime de l’AKP contrastait radicalement avec ceux du monde arabe où seules deux monarchies, le Maroc et la Jordanie, où les rois continuaient d’ailleurs de détenir l’essentiel du pouvoir politique, économique et militaire, évoluaient alors vers un semblant de démocratie. Mais il y avait également un deuxième facteur qui rehaussait l’image d’Erdogan dans le monde arabe : la dispute verbale télévisée d’une rare violence qu’il engagea avec Shimon Perez au sommet de Davos le 31 janvier 2009 au lendemain de la guerre de Gaza (décembre 2008-janvier 2009) 3 constituait le signe avant-coureur d’une quasi-rupture diplomatique entre Ankara et Tel-Aviv (MarCou 2012). L’AKP ne cachait désormais plus son soutien symbolique au Hezbollah libanais ou au Hamas palestinien. Soudain, Erdogan, déjà célébré pour avoir assuré des libertés et de l’épanouissement économique à son peuple, apparaissait aussi comme le leader capable de tenir tête à Israël, ce qui était loin d’être le cas des Princes arabes, qu’ils se nomment malik ou ra’īs. Les signes convergeaient pour indiquer que Nasser le résistant, duquel les Arabes se seraient montrés indignes, s’était inalement réincarné en Erdogan le Turc. Un point, caractérisant pourtant fortement la politique étrangère turque, semblait ne pas préoccuper les opinions publiques arabes des années 2000 : le gouvernement d’Erdogan avait fait le choix, à la fois par 3. Consultable sur http://www.dailymotion.com/video/x87sym_erdogan-perez-a-davos2009-le-clash_news heurS eT MaLheurS De La POLITIque arabe De La TurquIe 35 pragmatisme mais aussi, en arrière-plan, par une tradition politique remontant aux légistes de l’islam classique, dont le célèbre al-Māwardī (972-1058) recommandant l’obéissance à tout pouvoir établi dans la dār alislām, fut-il tyrannique, de développer une politique exclusivement centrée sur les relations d’État à État. Il ne s’agissait pas, pour lui, seulement de nouer des liens forts avec les régimes autoritaires « ordinaires » comme ceux de Ben Ali ou de Moubarak. Alors que le Premier ministre turc se voyait décerné, en novembre 2010, le « Prix Kadhai des droits de l’homme », le rapprochement avec la Libye, que nombre d’islamistes turcs avaient salué comme un modèle dans leur jeunesse, s’accélérait. Ankara avait également adopté une politique d’alliance étroite avec le régime du « frère al-Assad », ainsi que, en dehors du monde arabe, avec l’Iran. L’inquiétude suscitée par la consolidation d’une entité fédérée kurde en Irak (avec laquelle la Turquie init cependant par se réconcilier) et la volonté de combattre collectivement la guérilla kurde du PKK et ses partis alliés en Syrie et en Iran, constituaient la base de cet « axe stratégique » suscitant tant de déceptions, pour ne pas dire de colère, à Washington. Ankara face aux contestations révolutionnaires La politique arabe de la Turquie était en somme riche de contradictions, mais de contradictions fructueuses, tant elles permettaient d’engendrer un capital symbolique inédit que l’AKP ne manquait pas d’utiliser sur la scène intérieure pour présenter son président comme doté d’une s

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Politics and the migration-development nexus: the EU and the Arab SEM countries

TL;DR: In this paper, the authors focus on the Arab South and East Mediterranean (SEM) countries and conclude that amendments to macro-political contexts in the SEM countries are more likely than liberalization policies to curb emigration flows, by engineering global social and political development.
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Révolutions arabes : un événement pour les sciences sociales ?

TL;DR: Bessin, Bidard, Grosseti, 2009 as mentioned in this paper, Bensa, Fassin, 2002, Neveu, Quere, 1996) saccordent sur un point: pour les sciences sociales, l’evenement pose probleme par sa contingence, son imprevisibilite, sa valeur de fondation ou d'exemplarite.
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Marc Lynch
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