Activités
17-2 | 2020
Leprogrammederecherchecoursd’action
Le programme de recherche « cours d’action » :
repères historiques et conceptuels
The course-of-action research program : historical and conceptual landmarks
GermainPoizatetJuliaSanMartin
Éditionélectronique
URL : https://journals.openedition.org/activites/5277
DOI : 10.4000/activites.5277
ISSN : 1765-2723
Éditeur
ARPACT - Association Recherches et Pratiques sur les ACTivités
Référenceélectronique
Germain Poizat et Julia San Martin, « Le programme de recherche « cours d’action » : repères
historiques et conceptuels », Activités [En ligne], 17-2 | 2020, mis en ligne le 15 octobre 2020, consulté
le 25 août 2021. URL : http://journals.openedition.org/activites/5277 ; DOI : https://doi.org/10.4000/
activites.5277
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Le programme de recherche « cours
d’action » : repères historiques et
conceptuels
The course-of-action research program : historical and conceptual landmarks
Germain Poizat et Julia San Martin
NOTE DE L’ÉDITEUR
Article soumis le 2 mars 2020, accepté le 22 juin 2020
Ceci n’est pas une introduction
1 Cette contribution inaugurale a été pensée comme une introduction au programme
« cours d’action » et non à proprement parler au numéro dans lequel elle s’insère. Elle
propose une vision synoptique de celui-ci. Cette « grille de lecture et de comparaison »
minimale permettra non seulement au lecteur de positionner le « cours d’action » par
rapport à d’autres programmes ou théories, mais aussi d’éviter de trop longs
développements dans chacun des articles constitutifs de ce numéro. Il s’agit de
présenter l’ensemble des hypothèses, méthodes, catégories descriptives développées
dans le programme « cours d’action », ainsi que les principales avancées récentes
proposées par les auteurs mobilisant et/ou contribuant à celui-ci. Concrètement, après
avoir exposé brièvement son histoire et son extension dans des domaines empiriques et
socio-techniques variés, nous en présenterons 1) les fondements ontologiques et
épistémologiques, 2) les objets théoriques, autrement dit les réductions « holistiques »
et « non réductionnistes » de l’activité humaine proposées afin de produire des
analyses de l’activité (individuelle et collective) répondant à des critères de
scientificité, 3) l’observatoire et l’atelier méthodologique, 4) le cadre sémiologique et
ses diverses mise(s) en œuvre, 5) la démarche de conception et ses principaux
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constituants, et enfin 6) les tentatives d’extension à travers les recherches les plus
actuelles.
1. Le programme de recherche « cours d’action » :
bref aperçu historique
2 En préalable, il convient d’indiquer que le rapide aperçu historique que nous proposons
ici ne vise pas l’exhaustivité : 1) il ne fait état que du point de vue des auteurs sur
différentes périodes passées et ne prend pas en compte le point de vue des acteurs eux-
mêmes
1
, et 2) il est « situé », c’est-à-dire influencé par le projet collectif de publication
qui se donne à voir dans ce numéro. Malgré tout, ce bref aperçu permettra au lecteur de
mieux comprendre et situer ce que nous avons pour habitude de nommer le
programme « cours d’action » dans l’espace de recherche en mouvement que constitue
l’ergonomie, et plus largement l’analyse de l’activité. Évidemment, une analyse plus
précise du contexte académique, historique, politique, et social de l’époque serait
nécessaire, voire même indispensable, de même que la réalisation d’études de type
micro-historiques sur l’ergonomie de langue française. Se lancer dans une recherche
historique précise demanderait un travail important, aussi, nous ne donnerons ici que
quelques repères et éléments relatifs au contexte scientifique et historique.
1.1. Une évolution entre ergonomie, anthropologie cognitive
et enaction
3 Le programme de recherche « cours d’action » a initialement été développé dans le
champ de l’ergonomie au cours des années 1980-1990. La notion même de « cours
d’action »
2
apparaît pour la première fois dans un rapport publié en 1987 (Pinsky &
Theureau, 1987) faisant suite à un ensemble de travaux engagés dès 1977 sur l’activité
cognitive et l’action dans les environnements de travail (Pinsky & Theureau, 1982). Les
premières systématisations du programme de recherche apparaîtront quelques années
plus tard à travers les ouvrages de Theureau (1992), de Pinsky (1992) et de Theureau et
Jeffroy (1994). À cette époque, les seuls domaines empiriques et socio-techniques
considérés sont les situations de travail (en situation de production ordinaire) en
relation avec la conception ergonomique de situations informatisées et automatisées.
Une étude avait été conduite sur l’apprentissage-développement dans le but
d’améliorer la formation sur le tas (Vion, 1993), mais celle-ci n’a pas fait l’objet d’une
présentation dans Theureau et Jeffroy (1994).
4 Ces premiers travaux « cours d’action » sont apparus dans une période de
restructuration de l’ergonomie en France, sous l’impulsion de Wisner, de Montmollin,
Cazamian, Leplat, Teiger, Bouisset, pour ne citer qu’eux… À cette époque, l’ergonomie
que l’on qualifiait alors volontiers de « francophone » était tiraillée entre deux
orientations. D’un côté, on y développe des recherches basées sur un idéal strictement
positiviste et des recherches expérimentales (de laboratoire), dans une relation étroite
avec les disciplines scientifiques établies. Ces recherches ont participé, dans une
période marquée par une transformation des rapports entre travail physique et travail
mental (même si une telle distinction était déjà l’objet de débats et d’importantes
controverses), par le développement des automatismes et des interactions homme-
machine, et par une forme d’hégémonie de la psychologie cognitive, à
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l’émergence d’une psychologie cognitive ergonomique ou ergonomie cognitive. De
l’autre, elle poursuit des études que l’on pourrait qualifier de plus « engagées
socialement » et avec une prise de distance plus marquée face aux prétentions
académiques (à court terme). Ces dernières entretiennent des relations plus distantes
avec les disciplines scientifiques (bien que conduites sur fond de travaux en physiologie
du travail), et insistent sur l’importance des enjeux sociaux associés à l’ergonomie, mais
aussi sur la production possible de connaissances dans le cadre des interventions
ergonomiques. C’est dans ce cadre qu’a été conduite l’étude emblématique réalisée à
l’usine Thomson d’Angers par Laville, Teiger et Duraffourg (1972). Qualifiée à l’époque
de « recherche globale en situation réelle » (Tort, 1974) ou plus récemment « de
première recherche de terrain » (Teiger, Barbaroux, David, Duraffourg, Galisson,
Laville, & Thareaut, 2006), cette étude se distinguait radicalement des travaux
expérimentaux en psychologie et en physiologie du travail. Les chercheurs 1) s’étaient
permis de « faire voyager » et de modifier les outils et méthodes du laboratoire dans les
situations réelles de travail, 2) tentaient de rendre compte de l’activité de travail de
manière holistique, et 3) accordaient une place importante à « la parole » des ouvrières
sur leur activité de travail et ses conditions
3
. Dans un bulletin de la SELF en hommage à
Antoine Laville, Jeffroy (2003) précise que cette étude a « posé les bases d’une approche
originale en ergonomie qui articule physiologie, psychologie et analyse du travail, observation en
situation et expérimentation en laboratoire, recherche et intervention... La plupart des questions
et réflexions ouvertes par cette recherche sont toujours d’actualité, ce qui montre la fécondité
des hypothèses formulées ». Les investigations « cours d’action » en situation de travail se
sont, dans une certaine mesure, toujours inscrites dans une forme de prolongement,
développement, et approfondissement de ce travail en direction d’une recherche
empirique « de terrain » attentive aux situations de travail dans toute leur globalité, et
donnant toute sa part au point de vue des acteurs dans l’analyse de leurs activités
comme dans la conception de leurs situations. L’une des limites de cette étude résidait
cependant dans le statut accordé ontologiquement et épistémologiquement au
« discours » ou à « l’expression » des opératrices sur leur travail. Cette limite,
considérée a posteriori comme bien réelle par Teiger et al. (2006), a été dépassée depuis
par de nombreuses recherches, et tout particulièrement, selon les auteurs eux-mêmes,
dans le cadre du programme « cours d’action » et grâce au développement de
l’autoconfrontation par Theureau et Pinsky (Pinsky & Theureau, 1982, 1987 ; Theureau
& Pinsky, 1983). Cette recherche pionnière a malgré tout contribué à donner une place
importante au point de vue des acteurs, ouvrant ainsi sur un recours aux verbalisations
comme données empiriques pertinentes et fiables (Pinsky & Theureau, 1982).
5 Comme indiqué précédemment, l’environnement scientifique dans lequel a émergé le
programme « cours d’action » était celui d’une prédominance des disciplines
scientifiques (notamment la psychologie et la physiologie) avec lesquelles l’ergonomie
entretenait des relations parfois difficiles et ambivalentes
4
. Les premières études
« cours d’action » ne s’intéressaient qu’à des problèmes empiriques et socio-technico-
organisationnels « peu délimités » (du point de vue des disciplines scientifiques) et ne
s’accommodant pas d’un découpage disciplinaire. Elles se sont dès lors montrées très
tôt « in-disciplinées » en restant soigneusement à distance des disciplines scientifiques
(grâce notamment à l’idée même de structuration en programme). Theureau (2015a)
considère, comme d’autres auteurs, les disciplines scientifiques comme des
constructions historiques contingentes et n’accorde à celles-ci qu’un double rôle
secondaire dans la production de connaissance : 1) de « conservatoire », c’est-à-dire de
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mise en ordre et d’enseignement des acquis en tant qu’ils sont provisoires ; 2) de
ressources temporaires afin de délimiter, pour tout problème de recherche, l’inter-
disciplinarité souhaitable et pertinente, à réaliser et à dépasser dans le cadre d’une
transdisciplinarité locale. En proposant la notion de programme de recherche
développée par Lakatos (1994) pour structurer les études « cours d’action », l’ambition
était de rendre clairement explicite la poursuite d’enjeux scientifiques tout en
permettant cette transdisciplinarité locale en partie affranchie des disciplines
scientifiques.
6 Enfin, le programme du « cours d’action » insistait, là aussi comme d’autres à l’époque
(Daniellou, Pavard, Wisner, de Montmollin pour ne citer qu’eux), sur la participation
des chercheurs à la conception et à la transformation des situations de travail, dans un
contexte où primaient les études qui proposaient une analyse du travail renvoyant la
conception aux directions d’entreprise et aux négociations avec les syndicats. Ceci s’est
traduit dans le cadre du programme par une préoccupation constante et précoce
envers les questions de conception et en faveur du développement d’une « ingénierie
des situations », notamment sous l’impulsion de Leonardo Pinsky (Pinsky, 1990, 1992 ;
Pinsky & Pavard, 1984 ; Theureau & Pinsky, 1984).
7 J. Theureau et L. Pinsky ont très tôt entretenu des échanges riches et multiples avec les
anthropologues cognitifs nord-américains au point d’énoncer explicitement le
rattachement à ce courant
5
. En quête d’une alternative au paradigme cognitiviste ainsi
qu’à une forme de « psychologisation » de l’analyse du travail et de l’activité, les
recherches « cours d’action » se sont tournées dès 1988 vers l’anthropologie cognitive
dans un contexte de débat scientifique intense entre les tenants de la Situated Action/
Cognition et ceux de l’Human Problem Solving (Clancey, 1993 ; Suchman, 1993 ; Vera &
Simon, 1993). Après de multiples discussions (à diverses occasions entre 1985 et 1988)
avec D. Norman, E. Hutchins, A. Cicourel, C. Goodwin, L. Suchman, J. Lave, S. Scribner et
M. Cole, il est apparu de plus en plus évident que les recherches « cours d’action »
entretenaient une forte proximité avec des études nord-américaines qui 1) proposaient
des visions convergentes, alternatives ou complémentaires de l’action et de la
cognition, et 2) se réclamaient d’une anthropologie cognitive (Dougherty, 1985) – ou
d’une ethnographie cognitive – pensée comme prolongement des acquis théoriques et
méthodologiques de l’anthropologie culturelle nord-américaine (malinowskienne) par
l’étude des processus cognitifs. L’intérêt de l’anthropologie cognitive nord-américaine
était de cumuler recherches de terrain, rigueur dans les recueils de données et les
modélisations et, pour une partie de celle-ci, visées pratiques d’amélioration des
situations des acteurs concernés en relation avec la conception de systèmes
artefactuels, organisationnels, et culturels. Les travaux en anthropologie cognitive
s’agrégeaient à cette époque autour d’un projet commun coïncidant avec celui du
programme « cours d’action » : « the empirical and theoretical characterization of
situationally specific cognitive activity » (Lave, 1988, p. 3) ; « take the situated character of
activity (including cognition) as given, and begin to explore its dimension » (Lave, 1988, p. 93).
Ces travaux en anthropologie cognitive étaient aussi particulièrement suivis à l’époque
par B. Pavard. Ils ont d’ailleurs largement influencé les analyses et modélisations des
activités coopératives situées qu’il a proposées par la suite en collaboration avec
d’autres chercheurs. Ce n’est que dans un second temps et par l’intermédiaire de
B. Pavard et de J. Theureau, que A. Wisner a pris connaissance de ces travaux en
anthropologie cognitive nord-américaine pour ensuite les intégrer pleinement au
Le programme de recherche « cours d’action » : repères historiques et concept...
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