Activités
6-2 | octobre 2009
Varia
Hollnagel, E. (2009). The ETTO Principle: Efficiency -
Thoroughness Trade - Off. Why things that go right
sometimes go wrong?
Farnham (U.K.): Ashgate
JacquesLeplat
Éditionélectronique
URL : http://journals.openedition.org/activites/2284
DOI : 10.4000/activites.2284
ISSN : 1765-2723
Éditeur
ARPACT - Association Recherches et Pratiques sur les ACTivités
Référenceélectronique
Jacques Leplat, « Hollnagel, E. (2009). The ETTO Principle: Efficiency - Thoroughness Trade - Off. Why
things that go right sometimes go wrong? », Activités [En ligne], 6-2 | octobre 2009, mis en ligne le 15
octobre 2009, consulté le 23 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/activites/2284 ;
DOI : https://doi.org/10.4000/activites.2284
Activités est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas
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revue électronique
Activités, octobre 2009, volume 6 numéro 2 119
Analyse d’ouvrage
par Jacques Leplat
Hollnagel, E. (2009). The ETTO Principle : Efciency - Thoroughness Trade - Off. Why
things that go right sometimes go wrong ? Farnham (U.K.): Ashgate.
Hollnagel est déjà l’auteur d’une œuvre importante relative à l’ergonomie de la sécurité et à des pro-
blèmes généraux d’ergonomie cognitive (notamment avec des recherches sur les systèmes cognitifs
conjoints, « joint cognitive systems »). Il est de ceux qui ont joué un rôle important dans la diffusion
de l’ingénierie de la résilience qui contribue à enrichir et renouveler les recherches sur la sécurité et la
abilité ; le thème du présent ouvrage s’inscrit dans cette dernière perspective. Pour un lecteur fran-
çais, un premier problème est de trouver une bonne traduction du titre qui révèle bien l’esprit dans
lequel l’auteur l’a choisi. Le dictionnaire n’est pas d’une grande aide dans cette tentative ! Le mieux
est sans doute d’écouter l’auteur dans son premier chapitre. Il n’y a pas trop de problèmes avec le mot
d’efcience qui correspond à la signication qu’on lui donne communément en ergonomie : « ef-
cience signie que le niveau d’investissement ou la quantité de ressources utilisées ou nécessitées
pour atteindre un but ou objectif xé soit tenu le plus bas possible » (p. 16). « Thoroughness signie
qu’une activité est exécutée seulement si l’individu ou l’organisation pense que les conditions néces-
saires et sufsantes pour cette exécution existent de telle sorte qu’elle puisse atteindre son objectif et
ne pas créer d’effets marginaux non souhaités » (id.). Quelle traduction pour thoroughness ? La dis-
tinction proposée oppose deux manières d’exécuter une tâche : pour le dire sommairement en prenant
des cas extrêmes, l’une (efcience) vise à l’exécuter d’une manière commode en prenant des libertés
avec les prescriptions, mais qui permettront cependant d’obtenir un résultat acceptable. L’autre (tho-
roughness) cherche à observer le mieux possible toutes les prescriptions ofcielles ou supposées de
la tâche (comme dans la grève du zèle !). Dans les ordres religieux anciens, on parlait de « stricte
observance ». La distinction proposée par Hollnagel évoque, sans s’y identier, la distinction pro-
posée par Simon (1996/2004, p. 213 sq.) entre optimal et satisfaisant (ou acceptable). Revenons à la
traduction : conformité (sous-entendu aux prescriptions) serait peut-être le moins mauvais (mais le
lecteur peut avoir une autre suggestion !). Le principe ETTO est celui qui règle à quel niveau, entre
efcience et conformité, se situera l’action du sujet face à une tâche concrète. « Il est clairement
nécessaire pour un individu ou une organisation d’être à la fois efcient et conforme » (p. 17), mais
il ne peut être parfaitement les deux et il est donc amené à trouver une solution de compromis. Ce
compromis exprime une caractéristique des gens et des organisations et constitue un élément utile
de leur description. Cette conception de l’action étendue à l’organisation conduit l’auteur à rejeter la
conception commune qui cherche à expliquer les résultats insatisfaisants ou erronés à partir des dé-
faillances et dysfonctionnements du système. « Au lieu de voir les succès et les échecs comme deux
catégories séparées de résultats produits par différents processus ou mécanismes, nous devons nous
accorder avec l’ingénierie de la résilience qui y voit les deux côtés de la même pièce. (…). Succès et
défaillance ont la même origine : seul le résultat peut les distinguer » (p. 18).
Après avoir explicité les caractéristiques de la perspective ainsi dénie et examiné ses rapports avec
des perspectives voisines, l’auteur consacre un long chapitre à la présentation d’études de cas dans
lesquelles le principe ETTO est mis en œuvre, constituant une sorte de grille de lecture. Ces cas sont
issus de situations et de domaines variés : aviation, transport maritime, hôpital, missions spatiales.
Ces études détaillées sont rapportées avec beaucoup de soin et font apparaître comment les effets non
souhaités de l’activité trouvent souvent leur origine dans la manière dont les intéressés résolvent le
compromis efcience-conformité (ETTO). Ainsi, « elles aident à comprendre comment naissent des
conditions latentes et se produisent des situations de risque ; elles montrent comment les défaillances
à la base et au sommet (de la hiérarchie) ont la même étiologie » (p. 78). Il est aussi souligné avec
insistance que l’étude des actions qui réussissent n’est pas à négliger pour comprendre celles qui
revue électronique
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J. Leplat
Analyse d’ouvrage
échouent.
Un chapitre est consacré au rôle de la variabilité qui est particulièrement important dans la gestion
des systèmes complexes étant données les incertitudes liées au fonctionnement de ces systèmes et à
la difculté qu’ils entraînent de disposer de prévisions détaillées sur les tâches et les activités. Pour
l’auteur, une question majeure est « comment et quand la variabilité de la performance normale,
c’est-à-dire les ajustements que les gens doivent faire pour réaliser leur travail, peuvent conduire à
des résultats défavorables » (p. 122). Là encore, on retrouve, à travers des exemples bien illustrés
cette idée qu’« il faut essayer de comprendre et d’expliquer le normal plutôt que les exceptions » (p.
97).
Un chapitre confronte la perspective ETTO avec des modèles classiques : de la cause principale, de
l’arbre des fautes et des événements, de l’analyse causale. Un cas médical est examiné avec détail
qui fait ressortir l’originalité de la conception ETTO et l’intérêt de la méthode d’analyse qu’elle
suggère en soulignant toujours l’importance de maintenir la référence à ce qui est correct, plutôt
qu’à se focaliser sur ce qui ne l’est pas. « En décernant un blâme à des causes spéciques ou en se
focalisant sur elles, on néglige le fait que le système fonctionne seulement parce que chacun fait des
ajustements approximatifs dans son travail. Le problème pour l’analyse est de comprendre comment
ces ajustements affectent chaque autre et affectent le développement de l’événement, plutôt que de
comprendre chaque ajustement en lui-même » (p. 118). D’où cette constatation que « c’est l’aptitude
des gens à adapter leur performance à celle des autres, actuelles ou en projet, qui renforce le système
social » (p. 119). On comprend alors l’accent mis aussi sur l’importance de prendre en compte la
dimension collective du travail
Le dernier chapitre envisage des perspectives de développement autour de thèmes dont voici quel-
ques exemples :
Recadrage des recherches : abandonner la tradition qui fonde l’évaluation du risque sur la —
notion de défaillance ; ne pas supposer que les effets se combinent nécessairement de façon
linéaire.
Évaluation proactive des risques : approfondir le fonctionnement du principe ETTO et —
rechercher comment il peut expliquer la production d’effets non souhaités, identication du
fonctionnement du principe ETTO dans différents types de conditions.
Dénir les moyens de faire de ETTO un instrument d’évaluation des risques, en particulier dans —
les essais cliniques.
On aura compris que ce livre aborde des problèmes essentiels pour l’analyse de l’activité et de ses
effets non souhaités. Il marque la place du sujet dans cette analyse en montrant que l’activité ne peut
se comprendre à partir des seules conditions externes de l’activité, mais qu’elle doit prendre aussi
en compte les caractéristiques et les intentions du sujet. L’étude du rôle de la dimension collective
de l’activité et ses modalités d’action sont également enrichies grâce à l’exploitation du principe
ETTO.
Comme le souligne très bien son auteur, ce livre n’est pas un manuel et n’a pas le style universitaire.
Il contient peu de références et celles qui existent sont bien commentées en n de chapitre. Pour
répondre au public élargi qu’il vise, l’auteur a soigné sa présentation et fait un usage judicieux de
schémas, graphiques et tableaux. Il a utilisé de nombreux exemples tirés de sa large expérience et on
appréciera l’exposé de ses études de cas. Ce livre devrait satisfaire tous ceux qui ont un intérêt pour
les problèmes concernant les activités de l’homme au travail, pour l’ergonomie et la psychologie du
travail, qu’ils soient spécialistes ou utilisateurs de ces disciplines. Ceux qui ont à traiter des questions
de sécurité et de risque trouveront dans ces pages des idées bien mises à jour et des connaissances
directement exploitables.
Jacques Leplat, août 2009